voyage en terre haïtienne | Page 26

telier d'écriture :

mon utopie

  Chez moi, une petite île isolée et quasiment ignorée de tous, l’eau est bleu-clair. Combinée aux rayons du soleil, elle nous éblouit et miroite, avec des reflets turquoise. Elle nous désaltère rien qu’en la regardant. Au cours de la journée, les eaux qui encerclent l’île changent de couleurs. Toutes les heures, toutes les minutes même, sont peuplées de merveilles intarissables.

Chez toi, l’eau est sale, grisâtre. Les vieilles gouttières laissent suinter l’eau sale qui s’infiltre dans les sillons du sol pavé. Chacun de tes pas est accompagné d’une gerbe d’eau boueuse qui vient te tâcher. Chez moi, il fait beau dix mois sur douze. Les deux mois de pluie, ou de mousson, arrivent l’été, où le soleil est le plus haut et le plus chaud. Tu vas certainement me dire : « Ah ! Ton île n’est donc pas aussi parfaite que tu le dis ! ». Et bien je t’arrête, cette mousson arrive au bon moment. A chaque goutte qui frappe le sol, une fleur éclate. C’est un spectacle merveilleux !

Chez toi, le ciel est souvent couvert et les rares rayons de soleil qui arrivent à percer l’épaisse couche de pollution paraissent bien ternes. Chez moi, quand la saison des pluies se termine, des multitudes d’oiseaux au plumage de couleur vive se mettent à chanter de façon si harmonieuse qu’on se sent transporté dans un autre monde. Chez toi, seuls les klaxons des voitures, des bus, des tramways se font entendre. Les cris incessants des bébés qui pleurent et des bambins à la voix stridente complètent ce capharnaüm permanent.

Chez moi, les fruits sont si mûrs que les arbres dégoulinent d’un jus sucré. Lorsqu’ils se détachent des branches, ils roulent joliment sur l’herbe verte. Les animaux viennent aussitôt lécher le nectar qui se répand sur le sol. Chez toi, les fruits se décrochent alors qu’ils sont à peine mûrs. Ils s’écrasent et pourrissent à terre. Il n’y a presque pas d’herbe, le goudron est visible partout. La vraie nourriture est rare. Tu te nourris essentiellement de produits créés de toute pièce dans des laboratoires et des usines. Vous vous vantez de jouir d’une nourriture cent pour cent chimique, emballage compris.

Chez moi les gens s’entraident, nous partageons tout, nous nous disons tout, nous travaillons équitablement. Le racisme, le sexisme, l’homophobie, la discrimination n’existent pas sur mon île. Nous habitons et nous existons en communion parfaite. Chez toi les gens s’insultent, se frappent, se tuent, se trompent, se mentent, se moquent, se haïssent. Ils détruisent, violent, hurlent, meurent de faim dans les rues. Même les enfants participent à cette méchanceté, cette violence et cette horreur gratuite. Au sein même des couples, les disputes règnent.

Je ne vois vraiment pas ce que tu trouves à ton pays pour refuser de vivre chez moi.

« La terre qui t’appartient, c’est celle où tu plantes tes rêves ». Lyonel Trouillot, la Belle Amour humaine.

"Chez toi, chez moi"

A

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