voyage en terre haïtienne | Page 12

oyage en terre haïtienne

V

"L'autre chose qu'il faut que tu saches : il y a sept heures de route entre le bruit et le silence. Entre ici et Anse-à-Fôleur. J'imagine que chez toi aussi les villes se suivent et ne se ressemblent pas. Il est des villes qui aboient et d'autres qui chuchotent. Il est des villes qui sourient et d'autres qui font la gueule."

P

nse-à-Fôleur

"Là-bas, dans le lieudit d'Anse-à-Fôleur où tu souhaites que je te conduise, c'est peu de monde, quelques copains, une poignée de vivants qui s'appellent par leurs prénoms et ne cultivent pas le vacarme. Les enfants y ramassent encore des coquillages, les portent à leurs oreilles, et la mer leur y chante quelque chanson secrète, sans déranger les autres. Les adultes n'élèvent pas la voix pour un oui, pour un non. Ils se fâchent rarement, et quand ça leur arrive, les enfants sourient dans leur dos, sachant que c'est un jeu de rôle, un faux orage, qui passera vite. Même les bêtes ne crient que chacune à son tour, quand besoin est, d'herbe ou de soin. Là-bas, les gens, ils braient pas comme ici . Quand ils optent pour le silence, même le rire leur passe par les yeux. Et lorsqu'ils parlent, y a encore du silence caché derrière leurs mots."

A

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ort-au-Prince

"Attends de voir le centre-ville. Il nous faudra le traverser, patauger dans le bruit jusqu'à la gare du Nord. Les étrangers souvent y perdent leurs oreilles, à entendre malgré eux, égaux en droits dans le vacarme, les choses, les bêtes et les humains. Les casseroles. Les pots d'échappement. (...) Au centre-ville, le bruit c'est comme la pauvreté, on n'en a jamais fait le tour. La pauvreté, chaque fois qu'on croit la circonscrire dans des quartiers créés pour elle, elle déborde et se lève ailleurs. Le bruit, ici, c'est pareil. Pas moyen de dresser une liste."