ToutMa ToutMa n°52 - Novembre 2018 / Janvier 2019 | Page 46
culture
HISTOIRE LITTÉRAIRE
TEXTE _Anne MARTINETTI
LITTÉRATURE
Noël en Provence
quand tradition fait loi !
Les santons de Provence ! La crèche, avec ses personnages
emblématiques : l’enfant Jésus, saint Joseph, la Vierge Marie, le
bœuf, l’âne, les bergers, le vieux et la vieille, le ravi, le tam-
bourinaire, le pêcheur, la poissonnière, le porteur d’eau…
Un inventaire à la Prévert qui n’a que peu de rapport avec
l’histoire sainte, et tout à voir avec le folklore provençal. Et
il est vrai, sa fusion avec le récit biblique est fascinante, les
deux mythologies ayant à ce point fusionné que les santons de
Provence incarnent la Nativité et la fête chrétienne de Noël
dans le monde entier…
E
L
Frédéric Mistral
e cérémonial de la bûche calendaire, qui au-
jourd’hui s’est transformée en bûche comes-
tible, n’est d’ailleurs que l’arrivée d’un parcours
à étapes qui démarre à la Sainte-Barbe, avec le blé
de l’espérance, la Sainte-Lucie et ses lumières, le
pastrage et la pastorale, pour se terminer par l’Épi-
phanie et la Chandeleur.
des paniers des fruits de verger mûris sur la paille
et des raisins conservés frais, des melons blancs
d’hiver, des œufs et du lait pour les crèmes, du
miel en gâteau et en pot, des fromages et des fi-
gues sèches », écrit Paul Arène en 1890.
Marcel Pagnol
t en littérature ? Les écrivains provençaux,
fiers de leurs traditions, se sont saisi de cette
richesse. Commençons par le plus cinématogra-
phique d’entre eux, Marcel Pagnol. Dans Le Châ-
teau de ma mère, l’oncle Jules, fervent chrétien (à
l’inverse de Joseph Pagnol, instituteur donc laïque
convaincu) raconte qu’ayant assisté à la messe de
minuit à l’église de La Treille, il a entendu des Noëls
provençaux de toute beauté. On est en 1910, mais
déjà Frédéric Mistral, prix Nobel de littérature
en 1904, évoque dans Mes origines les Noëls de son
enfance, empreints de tradition et mélangeant allè-
grement traditions païennes et mysticisme chré-
tien : « Tous ensemble, nous allions joyeusement
chercher la « bûche de Noël », qui - c’était de tra-
dition - devait être un arbre fruitier. Nous l’appor-
tions dans le mas, tous à la file, le plus âgé la tenant
d’un bout, moi, le dernier-né, de l’autre ; trois fois,
nous lui faisions faire le tour de la cuisine ; puis, ar-
rivés devant la dalle du foyer, mon père, solennelle-
ment, répandait sur la bûche un verre de vin cuit. »
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lors, futile, le Noël provençal ? Que nenni.
Cette appartenance aux traditions, cette vo-
lonté de prolonger le partage au-delà d’un simple
espace géographique permet aussi de surmonter
les épreuves. Salvette et Bernadou, Provençaux
en prison sous la plume d’Alphonse Daudet
lors de la guerre de 1870 contre la Prusse, ne
Paul Arène reprennent courage qu’à l’évocation de leurs ori-
gines : « Aujourd’hui cependant il s’est animé un
peu, en pensant à cette belle fête de Noël qui dans
nos campagnes de Provence ressemble à un grand
feu de joie allumé au milieu de l’hiver, en se rap-
pelant les sorties des messes de minuit, l’église
parée et lumineuse, les rues du village toutes
noires, pleines de monde, puis la longue veillée
autour de la table, les trois flambeaux tradition-
nels, l’aïoli, les escargots et la jolie cérémonie
du cacho fio (bûche de Noël) que le grand-père
promène autour de la maison et arrose avec du
vin cuit. »
Alphonse Daudet
M
ais ne nous cachons pas derrière la bûche et les prétextes mystiques ; si les Noëls
provençaux restent dans toutes les mémoires et se transmettent à travers les
générations, c’est aussi (surtout ?) parce qu’ils réunissent les familles, les fratries, les
villages autour de réjouissances toutes païennes : des festivités gourmandes. C’est en
effet à une pléthore de détails gustatifs (et pas du tout vegan, n’en déplaise aux amis
des animaux) que l’on reconnaît l’arrivée de Noël : « Les gens de l’endroit, fidèles
chrétiens, préparaient leur réveillon huit jours à l’avance et c’étaient, du matin au
soir, d’innombrables convois de victuailles : charretées de cerfs et de sangliers morts,
homards ficelés, poissons par pleines hottes, huîtres en bourriches, poules et coqs
pendus tête en bas, au bât des montures ; moutons gras destinés à l’abattoir ; canards
et pintades, troupeau blanc des oies qui panardent ; troupeau noir des dindes qui se-
couent leur jabot violet ; sans compter les bonnes femmes de la campagne portant dans
A
E
t Pierre Magnan, dans ses romans noirs,
fait jouer aux traditions provençales un rôle
majeur, parfois meurtrier. Ainsi, dans Le Com-
missaire dans la truffière, situé à Banon, dans les
Basses-Alpes, quelques jours avant Noël, « Ro-
seline, la truie d’Alyre, a fort à faire pour déni-
cher les truffes qu’attendent ses clients. » Mais
ce sont des cadavres que risque de découvrir la
fureteuse… Le commissaire Laviolette, alors que
tous s’apprêtent à fêter Noël, va utiliser la fête
pour découvrir les coupables. Car on meurt chez
Pierre Magnan, même à Noël ! De quoi tordre
le cou à bien des idées reçues, même s’il vaut
mieux, en cette saison, commencer par le cou de
Pierre Magnan la dinde…
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