ToutMa ToutMa N°48 - Février / Mars 2018 | Page 36

histoire

NOTRE VILLE
TEXTE _ Jacques LUCCHESI ILLUSTRATIONS _ Caroline MANCEAU
Prologue

Pour qui prend encore le temps de regarder autour de soi , une ville comme Marseille se présente comme un immense texte toujours en devenir . Un texte dont les mots seraient la pierre , le béton , le métal et le verre . Un texte sans cesse effacé et réécrit selon les exigences du présent . Telle est la contrainte qui pèse sur l ’ architecture depuis toujours . Et cet art , qui fut longtemps le premier de tous , doit conjuguer utilité et esthétique , quand il ne fait pas que traduire les rêves d ’ une époque . Rares , néanmoins , sont ses créations vouées à passer les siècles . Celles de Henry- Jacques Espérandieu ( 1829-1874 ) font parties de celleslà , car elles ont modifié sensiblement la physionomie de notre ville . Au départ , il n ’ était pourtant pas le mieux placé pour devenir l ’ architecte majeur de Marseille , au XIX ème siècle . Mais sa force de travail phénoménale et le soutien de quelques maîtres ( Léon Vaudoyer , Charles Questel ) rencontrèrent la volonté d ’ embellissement qui animait les édiles marseillais de ce temps-là . Son parcours fut pourtant loin d ’ être facile et sa mort prématurée laissa bien des projets inachevés . Partons à la redécouverte de ses grandes réalisations .

Une jeunesse très studieuse

Naître au sein d ’ une famille protestante : quel paradoxe pour le futur architecte de Notre- Dame de La Garde ! C ’ est pourtant sous les auspices de la religion réformée que se déroulèrent l ’ enfance et la jeunesse de Henry-Jacques Espérandieu . Élève au collège royal de Nîmes entre 1840 et 1845 , il manifesta des dons précoces pour les mathématiques et la poésie ( sa vie durant , il écrira des poèmes ). Mais c ’ est à l ’ Académie royale , qu ’ il fréquente parallèlement , que son

Henry-Jacques ESPÉRANDIEU l ’ architecte de Marseille

Il fut , au XIX ème siècle , l ’ artisan du renouveau architectural de Marseille . Retour sur ce destin exceptionnel sans lequel notre ville ne serait pas tout à fait la même .
goût pour le dessin s ’ affirmera . Dès seize ans , il sait qu ’ il sera architecte . Et sa première rencontre avec Charles Questel , alors à Nîmes pour reconstruire l ’ église Saint- Paul , confirmera sa vocation . Le voici bientôt à Paris , inscrit à la prestigieuse École des beaux-arts , la seule en France qui préparait alors au métier d ’ architecte . Et quoique les frais de scolarité aient été très élevés pour ce fils de simple artisan , son père le soutiendra sans faillir . Par l ’ entremise de Questel , le jeune Espérandieu rencontra Léon Vaudoyer , autre architecte réputé qui l ’ admit dans son atelier avant d ’ en faire son collaborateur dévoué . Pour Espérandieu ces années parisiennes ne furent en rien une vie de bohème . Travaillant d ’ arrache-pied de jour comme de nuit , monnayant ses dons d ’ aquarelliste pour financer une partie de son quotidien austère , il sera reçu architecte avec un an d ’ avance . De retour dans le Midi en 1852 , Vaudoyer va l ’ associer au chantier de la cathédrale de la Major puis l ’ encourager à postuler au projet de Notre-Dame de La Garde .
Le renouveau du culte marial et Notre-Dame de La Garde

Avec l ’ échec de la Deuxième République et la fondation du Second Empire , suite au coup d ’ état de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851 , le catholicisme va trouver un second souffle en France . À Marseille , il est servi avec ferveur par l ’ évêque Eugène de Mazenod , entre 1837 et 1861 . Le dogme de l ’ Immaculée Conception est proclamé par le pape Pie IX en décembre 1854 et l ’ idée d ’ un monument à la Vierge s ’ impose peu à peu à l ’ évêque . Mais à qui confier sa réalisation ? Il y a bien l ’ élève de Vaudoyer , si doué , avec un nom si chrétien , mais voilà , il est protestant … Qu ’ à cela ne tienne : on fera taire les mauvaises langues et c ’ est donc à Espérandieu qu ’ échoit la réalisation de la colonne de la Vierge . Disposée tout d ’ abord sur la butte Saint-Charles , elle sera inaugurée en grande pompe le 8 décembre 1857 . Déplacée en 1922 , lors de la construction des grands escaliers de la gare , on peut encore l ’ admirer un peu plus loin , à l ’ angle du boulevard Voltaire . Le chantier de la basilique de Notre-Dame de La Garde , qu ’ il décroche en 1854 , sera pour lui bien plus ardu , marqué par de nombreux conflits et d ’ incessants problèmes d ’ argent . Mais si Espérandieu assistera à l ’ inauguration du parcours vers la colline sacrée en juin 1864 , s ’ il verra la statue de la Vierge à l ’ Enfant ( dorée à la feuille d ’ or ) s ’ élever vers le bleu du ciel marseillais en septembre 1870 , il ne pourra pas terminer la transformation intérieure de la vieille chapelle médiévale , toujours happé par de nouvelles commandes .

34