ToutMa ToutMa N°48 - Février / Mars 2018 | Page 12

portrait

LITTÉRATURE
INTERVIEW _ Caroline BOUTEILLÉ

Anne MARTINETTI petite recette pour grand polar

© Jean Lebeau
Installée depuis une trentaine d ’ années dans les coulisses feutrées du milieu éditorial parisien , Anne Martinetti est de ces touche-à-tout de talent que rien n ’ arrête . Spécialiste reconnue du roman policier au-delà de nos frontières , elle a toutefois su rester discrète de par chez nous . L ’ élégance de ceux que leur talent précède . Pour ToutMa , elle a accepté de se confier et de revenir sur sa carrière . Nous la retrouvons à Paris , au restaurant Le Train bleu , clin d ’ œil à son cher Hercule Poirot , mais aussi au Sud de son enfance *.
ToutMa : Tu es écrivain , rédactrice pour différents journaux , éditrice … aujourd ’ hui on te voit dans les pages du Monde , de Télérama , dans des émissions télévisées en tant que spécialiste d ’ Agatha Christie … peux-tu nous raconter ton parcours ?
Anne Martinetti : C ’ est l ’ histoire d ’ une gourmande de livres et de cuisine ! Je suis venue terminer mes études d ’ édition et de droit à Paris , puis j ’ ai intégré le Groupe Hachette en tant qu ’ éditrice , il y a 28 ans cette année . En 1996 j ’ ai eu l ’ opportunité de rédiger les textes d ’ un très joli livre de photos intitulé Couleurs de Nice . Je n ’ ai jamais arrêté d ’ écrire depuis : romans , études , beaux-livres , guides littéraires , cuisine ... Mon dix-huitième livre est sorti il y a quelques mois . Dix-huit livres , c ’ est une œuvre « majeure »... au sens strict , car je pense que l ’ essentiel est de transmettre ses passions !
TM : Et pour ce qui est du polar comment ça s ’ est passé ? Tu as débarqué un jour à Paris dans les bureaux des Éditions du Masque et on t ’ a proposé un poste ?
AM : Pas si vite ! Mais après deux heures d ’ entretien avec la directrice littéraire de l ’ époque , Hélène Amalric , qui a fait découvrir en France Patricia Cornwell , Val McDermid , Philip Kerr , et publié le premier Fred Vargas ( excusez du peu !), elle m ’ a dit que je connaissais mieux qu ’ elle l ’ histoire de la maison et elle m ’ a proposé un stage ... pour créer un poste spécialement pour moi un peu plus tard . J ’ ai eu accès aux contrats d ’ Agatha Christie et archivé 70 ans d ’ histoire du Masque , un vrai rêve : avoir entre les mains les contrats de Peter Cheyney , lire les correspondances , un régal ! J ’ y ai travaillé durant plus de dix ans , collaborant au quotidien avec Hélène , qui reste
la patronne idéale et une véritable amie depuis presque trente ans maintenant !
TM : C ’ est comme ça qu ’ est née ta vocation de romancière ?
AM : Oh non , elle est née beaucoup plus tôt , ça doit dater de mes séjours qui duraient des heures dans les couloirs et sous les tables d ’ une librairie niçoise à deux pas de chez moi , j ’ y emménageais pendant des après-midi entiers et je lisais bien tranquillement . J ’ ai commencé à lire Agatha Christie vers l ’ âge de 11 ans et à 10 ans j ’ ai lu intégralement Autant en emporte le vent , je pense que c ’ est le livre qui m ’ a donné envie d ’ écrire .
TM : Tu écris des livres de cuisine également … ton personnage de Beth Huntly est d ’ ailleurs une cuisinière enquêtrice , c ’ est une façon de concilier tes deux grandes passions ?
AM : Tout à fait ! Si l ’ on ajoute que l ’ histoire se passe en 1900 et en Angleterre , tous mes ingrédients préférés sont réunis pour un roman policier historique , qui n ’ est pas loin d ’ être mon genre de littérature favori . Mais Beth est amenée à voyager , le troisième volume se passe à Édimbourg et le quatrième sur un transatlantique en route vers New York ... Qui sait , elle croisera peut-être Scarlett O ’ Hara dans un volume ultérieur !
TM : Quand on y pense , c ’ est vrai que les cuisines sont souvent les coulisses des intrigues où tout se joue dans les œuvres de fiction , la faute au poison ?
AM : Peut-être , mais la cuisine est aussi un lieu propice aux confidences , aux racontars , ce sont les coulisses de la scène en quelque sorte , et les coulisses sont souvent plus intéressantes : tout peut y arriver , alors que sous les projecteurs le hasard n ’ a pas sa place , tous les metteurs en scène vous le diront .
TM : On parle souvent aujourd ’ hui de la vague des polars nordiques avec Stieg Larsson , l ’ auteur de Millenium , notamment , comme on a beaucoup parlé au XX ème siècle des auteurs de romans policiers anglais avec Agatha Christie , P . D . James ou encore Dorothy L . Sayers , comme si le polar , peut-être plus qu ’ un autre genre , s ’ ancrait profondément dans un territoire . Tu es toi-même née à Nice , crois-tu que le Sud soit un de ses terreaux fertiles ?
AM : Oui , bien sûr ! Terre d ’ émigrants , venus de Russie , d ’ Italie , du Maghreb , le Sud est une région en perpétuel mouvement , une région qui doit s ’ adapter à l ’ histoire du monde et où on aime bien s ’ affronter , même amicalement ... Raimu ou Fernandel auraient difficilement pu être originaires du Nord . Le Sud est une terre de contraste , d ’ exagération permanente , de foisonnement ... très propice au polar ! Lorsque j ’ ai écrit mon guide littéraire de la Côte d ’ Azur , qui recense les impressions d ’ écrivains ou d ’ artistes découvrant la région , j ’ ai remarqué que le mot qui revenait le plus sous leur plume était « liberté », comme si le côté sauvage de l ’ endroit permettait de tout imaginer . J ’ aime bien l ’ idée que la région où j ’ ai grandi soit le lieu de tous les possibles ...
* Le Train Bleu d ’ Agatha Christie raconte une enquête de Poirot à bord du train qui relie Calais à Nice .
Février / Mars 2018 _ TM n ° 48 10
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