ToutMa ToutMa n°47 - Novembre / Décembre 2017 | Page 10

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PORTRAIT
TEXTE _ Julie MANDRUZZATO

Fred SATHAL amazone d ’ un conte d ’ Edgar Poe

Elle joue de la harpe sur le jersey de ses robes , aiguillée dans son geste par le volume de ses coupes et son doigté incomparable pour l ’ ornementation . La mélodie qui se dégage de ses vêtements , c ’ est à l ’ âge de 19 ans qu ’ elle a commencé à la faire résonner . Fred Sathal , née à Marseille en 1966 , n ’ est pas passée par le cursus habituel de l ’ école de couture . Son dé elle le lance d ’ abord aux côtés de Geneviève Sevin-Doering , à l ’ atelier de l ’ architecture du costume . « J ’ observais beaucoup . À l ’ époque , c ’ était ça l ’ apprentissage , observer », raconte Fred , qui durant ces trois années prêtera l ’ oreille aux remarques , découvrira un panel de techniques et poussera sa réflexion artistique . « Pour pallier ce manque d ’ école , je décidai ensuite de me mettre en quarantaine et de faire mon école toute seule ! J ’ ai passé deux années à faire des recherches sur la peinture , sur les points d ’ ornementation , enfin , à produire une idée . »

Alchimie parisienne

La jeune couturière s ’ installe à Paris au début des années 1990 . Elle entre au Théâtre national de la Colline en tant que teinturière . C ’ est aussi le temps de la conception , de la recherche et des expérimentations . Fred déambule dans les rues parisiennes en portant les tenues qu ’ elle s ’ est créées . C ’ est à ce moment-là que la mode se retourne sur elle , comme on se retourne à la vue d ’ une belle femme . « C ’ était une époque très jubilatoire , on pouvait encore rentrer dans les magazines . Les journalistes cherchaient des sujets , j ’ ai commencé à apparaître sur le papier glacé de Elle , Depêche Mode , Glamour … ». Les rencontres positives s ’ enchaînent et , sans avoir encore monté sa maison , Fred décide de lancer sa première collection , en 1994 : « Ma collection s ’ appelait « Amazone urbaine », je faisais beaucoup d ’ équitation plus jeune . J ’ avais décidé de parler de mes premiers amours , le cheval , en y montrant une femme , une cavalière urbaine . » C ’ est le début d ’ une période faste pour la créatrice , une aventure à laquelle elle n ’ avait jamais songé : « S ’ affranchir de tout , n ’ avoir peur de rien ». De 1994 à 1999 , elle réalisera deux collections par an , rentrant dans le calendrier de la Fédération française du prêt-à-porter . Son travail est instinctif , elle fringue un monde conceptuel , une mode qu ’ elle s ’ est inventée . Björk ou même Vanessa Paradis portent ses créations , c ’ est la consécration , jusqu ’ à la fin de la décennie .

Attention , délicat

Alors que la couture connaît une période de ralentissement , que la clientèle se raréfie , le nouveau président à la tête de la Fédération française de la couture , Didier Grumbach , souhaite redorer son blason . La haute-couture est devenue une voie de garage , elle manque d ’ originalité . Il propose à de jeunes créateurs du prêt-à-porter de la réinvestir . Fred Sathal accepte : « De 2000 à 2006 , je jouais le jeu en lançant deux collections haute-couture par an . Ça a été une affaire trop lourde à porter , le plan financier n ’ était pas assez structuré , je n ’ avais pas assez pour investir . »

La styliste se retire alors de l ’ univers de la mode pour redevenir une artiste , avant tout .

En retournant à Marseille , elle réintroduit son travail textile dans le cadre de l ’ art contemporain et transmet sa passion aux étudiants qu ’ elle forme dans son atelier : « Voir des résultats au travers des gens que l ’ on reçoit et que l ’ on a appréciés , c ’ est très rafraîchissant , c ’ est encourageant . » Si la fermeture Éclair de la haute-couture semblait s ’ être coincée , Fred finira pourtant par revenir avec une nouvelle collection en 2014 , après huit ans d ’ absence . « Couleur lumière » signe son retour sur les podiums , une ligne ethnique qui se permet toutes les excentricités .
Rituel sathalique

Elle a récemment lancé sa dernière collection 2017 / 2018 , « Festin solaire ». Appétit des yeux dont les cils courbés font une ombre d ’ or , les vêtements s ’ étiolent en dentelles et pleurent des perles de lames . Un univers mystique et suraigu qui nous rappelle les talents polymorphes de la couturière attachée aux matières nobles , avec une attention particulière pour les détails . « Mes pièces sont uniques , elles ne sont que des prototypes », déclare Fred , d ’ une voix vibrante de sincérité . Il n ’ y avait que la couturière pour donner à palper le mot « imaginaire ».

Novembre / Décembre 2017 _ TM n ° 47 8
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