ToutMa ToutMa n°44 - Avril / Mai 2017 | Page 52

histoire

NOTRE VILLE
TEXTE _ Jacques LUCCHESI

hist

… Marseille a tissé des liens avec le monde entier et tous les enfants de la terre sont , un jour , venus arpenter son Vieux-Port …

Les communautés étrangères à Marseille

On le sait : Marseille a été largement façonnée par ses vagues successives de migrants .
Coup d ’ œil sur trois de ses plus importantes communautés .

Dans le premier article de cette enquête sur l ’ immigration à Marseille ( ToutMa n ° 43 ou sur www . toutma . fr rubrique Histoire ), nous nous sommes focalisés - et pour cause ! - sur la présence transalpine . Nous avons vu le rude sort que beaucoup d ’ Italiens connurent ici lors de leur arrivée au XIX ème siècle ; et comment , au fil du temps , ils se sont intégrés au tissu local jusqu ’ à devenir une composante fondamentale de son identité . Avec ce second volet nous allons passer en revue les autres communautés étrangères de cette ville . Celle-ci , en effet , a tissé des liens avec le monde entier et tous les enfants de la terre sont , un jour , venus arpenter son Vieux- Port . Aujourd ’ hui encore , des dizaines de nationalités s ’ y côtoient chaque jour . L ’ Afrique subsaharienne ( Mali , Sénégal , Comores ) et l ’ Asie du sud-est ( Vietnam , Cambodge ) lui ont fourni un important contingent de migrants dont le travail et les coutumes ont , peu ou prou , modifié la physionomie de la ville . Dans les années 90 , la fin de l ’ URSS et l ’ ouverture des frontières dans l ’ espace européen ont entraîné une immigration en provenance des pays de l ’ Est . Si elle semble plus visible , elle n ’ est pourtant pas nouvelle ; car Marseille , dès les années 20 , comptait déjà un bon nombre de Russes et de Polonais . Il y aurait beaucoup à dire sur ces différentes ethnies et les circonstances historiques de leur présence ici . Comme il faudrait également parler d ’ une immigration franco-française à Marseille , Corses au début du XX ème siècle et rapatriés d ’ Algérie en 1962 . Cependant , pour d ’ évidentes questions de place , nous scruterons plus particulièrement trois communautés dont l ’ implantation a partie liée avec les conflits majeurs du XX ème siècle . Ce sont bien sûr les Arméniens , les Espagnols et les Algériens .

Le traumatisme arménien

Avec la première guerre mondiale , c ’ est une autre carte du monde qui va progressivement prendre forme . Des empires s ’ effondrent ; des nations naissent de leurs ruines mais tous n ’ y trouveront pas leur place . C ’ est le cas pour les Arméniens , poussés à l ’ exode tant par les Jeunes-Turcs et la mouvance kémaliste que par la Russie révolutionnaire . Leur drame est d ’ abord d ’ ordre géographique , avec un territoire coincé entre deux grands États antagonistes . Soucieux de pureté ethnique , le nouveau pouvoir turc va prétexter sa crainte d ’ une rébellion pour désarmer les conscrits arméniens sur son sol , avant de déporter une partie de la population turco-arménienne vers les déserts de Syrie . Entre 1915 et 1916 , plus d ’ un million d ’ entre eux y laisseront la vie , actant le premier génocide du XX ème siècle . Du côté russe , ce sont les Arméniens nationalistes ou nostalgiques des Romanov qui vont être persécutés par les Bolcheviks . Proclamée en mai 1918 , la petite

Réfugiés arméniens au camp Oddo à Marseille .
Enfants arméniens au camp Oddo à Marseille .
république démocratique d ’ Arménie sera vite absorbée par l ’ ogre soviétique . Ces bouleversements vont contraindre à l ’ exil un million et demi d ’ Arméniens entre 1922 et 1928 . Pour beaucoup d ’ entre eux , Marseille va être une escale incontournable et souvent pérenne . Mais comment accueillir ces milliers de migrants qui débarquent en octobre 1923 ? Quoique chrétiens et nantis de certificats divers , leur teint brun et hâve effraie souvent le bon peuple marseillais qui crie à l ’ invasion et prend à partie ses édiles . La solution sera dans les camps d ’ internement , avec des dizaines de familles entassées sans un minimum d ’ hygiène ( on peut parler déjà de « jungle »). Le plus célèbre d ’ entre eux , le camp Oddo , accueillera jusqu ’ à 3 000 personnes et ne sera fermé qu ’ en 1927 . Passé ce choc initial , les Arméniens vont se disséminer dans Marseille avec une préférence pour des quartiers comme Beaumont , Saint-Antoine et Sainte-Marguerite . La solidarité communautaire aidant , une sociabilité va se recréer avec des églises pour les rassembler dans le culte orthodoxe . Dix ans plus tard , ils constituaient , avec 20 000 individus , la troisième communauté étrangère , derrière les Italiens et les Espagnols . Durant l ’ occupation , ils ne seront pas les derniers , naturalisés ou non , à participer à des mouvements de résistance . Et sans jamais oublier la terre de leurs ancêtres , ils ont progressivement accédé à toutes les sphères de la société française .
La mélancolie espagnole

C

’ est au tout début du XX ème siècle , quand les
Italiens deviennent plus revendicatifs , que le patronat marseillais va faire appel à une main-d ’ œuvre espagnole . En 1914 , ils sont 6 000 à travailler comme journaliers , avec l ’ espoir de revenir rapidement au pays . Vingt ans plus tard , c ’ est différent puisque , avec 22 587 représentants , la communauté espagnole se classe deuxième à Marseille , même loin derrière la
Avril / Mai 2017 _ TM n ° 44 50
Retrouvez tous nos reportages sur www . toutma . fr