ToutMa ToutMa n°43 - Février / Mars 2017 | Page 50

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PORTRAIT
TEXTE _ Julie MANDRUZZATO PHOTO _ PIB ( La Voix du Nord )

Jef AÉROSOL expressions en béton

Un pochoir dans la main droite , un mouchoir dans l ’ autre pour essuyer le bout pointu de ses boots en cuir . Jef Aérosol fait partie de la vague « guitare électrique », cette génération clash , pop ’ art et contre-culture des années 70 .
L ’ artiste inhale , le spray exhale

Parce qu ’ ils ont peur de la page blanche , les journalistes économisent leurs idées . Ils recyclent les petits papiers qu ’ ils ont laissé traîner dans le fond de leur gorge et parfois même , les mastiquent . C ’ est en souhaitant réutiliser mes plus belles tournures , mes allégories légères sur l ’ art de rue que je me rendais nerveusement à l ’ évidence : avec Jef Aérosol c ’ est une affaire d ’ univers . Habituée à dépeindre le monde des casquettes à l ’ envers et du hip-hop à l ’ endroit , les influences de Jean-François Perroy de son véritable nom , sont de toute autre envergure . Il est l ’ enfant salué des copains , enfant nantais d ’ une culture rock et des vinyles qui crépitent sur le tourne-disque . Sous le bruit des billes des bombes aérosols , il a investi la rue par l ’ art de sa démarche au début des années 80 . La technique du pochoir est alors peu répandue , surtout en province . Ses images graphiques vont apparaître sur le plastron bétonné de la ville de Tours . C ’ est là-bas , emménageant ses pochettes et ses classeurs pour devenir professeur d ’ anglais , que la peur d ’ une perte soudaine de liberté le fait exalter .

Repeindre la face de l ’ art

Peut-être que l ’ art est un moyen de se rebeller contre la solitude , l ’ illégalité un moyen de la remplir d ’ ivresse . Ses influences artistiques mûries lors d ’ une année passée en Irlande s ’ agiteront sur la toile des boulevards . Des vapes de pochettes d ’ albums des Clash , d ’ Hendrix , des Rolling Stones : un joyeux harem folk , punk et rock . Mais l ’ histoire débute dans le flash des photocopieuses , des portraits de lui-même qu ’ il capture clandestinement dans les bureaux qu ’ il surveille , ces petits jobs de nuit . Il en fait des pochoirs , comme des œufs , séparant le blanc du noir pour donner à l ’ image une profondeur de champ et de sentiments : l ’ attrait du portrait .

Panser les murs

Les graffs partagent la même exclusivité , l ’ humanité . Anonymes ou personnages connus se retrouvent ensemble au pied du mur . Jef Aérosol a bâti , depuis , un océan de visages où tout le monde est V . I . P . : Very Important Pochoirs . Ce que l ’ artiste recherche c ’ est l ’ unicité dans l ’ expression des sentiments et la pluralité dans les commentaires des passants . Une diversité des langues qui se fourchent à l ’ étranger quand l ’ artiste part pulvériser la muraille de Chine avec son célèbre « Sitting ’ kid » ou lorsqu ’ il rassemble Edgar Poe et John Lee Hooker à Boston . Jef on le reconnaît à son béret , et son travail à sa flèche . Depuis 1986 cette signalétique nous fait tomber dans le panneau . Controversée , la technique du pochoir dans le milieu , l ’ artiste vous la fera ravaler . Jef Aérosol déboutonne les manchettes de son tailleur en velours , pour dégainer à la nuit tombée son pulvérisateur comme un 6.35 au-dessus du dessin minutieusement taillé . Maintenant , qui regarde l ’ autre ? Le passager curieux ou la peinture fraîche ?

Jef Aérosol « People & things » du 10 mars au 8 avril 20 17 Galerie David Pluskwa
53 rue Grignan , Marseille 6 ème
Flowers , 2016 Spray et acrylique sur carton 120 x 120cm
Les Montgolfières , 2017 Spray et acrylique sur carton 212 x 79cm
Février / Mars 2017 _ TM n ° 43 48
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