ToutMa ToutMa n°43 - Février / Mars 2017 | Page 23

histoire

L ’ IMMIGRATION ITALENNE
Les pâtes Scaramelli
Bien avant les Espagnols , les Arméniens et les Maghrébins , les Italiens connurent ici toutes les vicissitudes de l ’ exil et de la xénophobie avant de s ’ intégrer à la population locale .
Pour la rédaction de cet article , nous nous sommes principalement appuyés sur le tome 2 de l ’ Histoire des migrations à Marseille , de Renée Lopez et Emile Temime ( Edisud )
© Archives départementales des Bouches-du-Rhône , Le temps des Italiens ( 1850-1914 )
Détail d ’ un tract pour les élections législatives
Recencement des sujets Italiens suspects © Archives départementales des Bouchesdu-Rhône , Le temps des Italiens ( 1850-1914 )
bourgeoisie marseillaise . Quant au monde des arts et de la culture , à part quelques exceptions ( Adolphe Monticelli , Jules Cantini , David Dellepiane , Lucien Muratore ou Vincent Scotto ), il leur sera durablement fermé .
Nationalisme et xénophobie

Sales , violents , joueurs , débauchés , fanfarons , paresseux : ce sont là quelques épithètes que le Marseillais bon teint accolait volontiers aux Italiens . Sans d ’ ailleurs établir un lien entre ces travers et les conditions de vie précaires de cette communauté . Hier comme aujourd ’ hui , les mêmes causes engendrent toujours les mêmes effets . Sous l ’ angle professionnel , les ouvriers français leur reprochaient d ’ être des briseurs de grève , toujours soumis aux exigences des patrons : un état de choses qui allait vite évoluer . Pour la police , les Italiens étaient de la graine de terroriste .

Il est vrai que certains d ’ entre eux furent séduits par l ’ anarchisme et sa propagande . Et ce fut un Italien , Caserio , qui assassina en juin 1894 le Président Sadi-Carnot à Lyon . De tels sentiments , relayés et amplifiés par des pamphlétaires comme Jean Berjant (« La France italienne »), ne pouvaient que favoriser des explosions de violence à leur encontre . Elles vont accompagner la montée du nationalisme qui suit la défaite de la France face à la Prusse en 1870 . D ’ autant que l ’ Italie , dans ces années-là , tendait à se rapprocher de l ’ Allemagne impériale . Voilà le climat qui précède les journées de juin 1881 appelées Vêpres marseillaises . Pour un motif dérisoire - un défilé militaire sifflé lors de son passage devant le consulat d ’ Italie - une partie de la jeunesse marseillaise va se déchaîner pendant quatre jours ( 17,18 , 19 et 20 juin ) contre les Italiens du centreville . Bilan : trois morts et de nombreux blessés . Des condamnés , aussi , à de lourdes peines de prison , pour la plupart Italiens . Douze ans plus tard , en août 1893 , c ’ est à Aigues-Mortes que des ouvriers salins traquent et massacrent des journaliers italiens . Huit morts et une cinquantaine de blessés . Les autorités françaises feront tout pour atténuer la gravité des faits . C ’ est ainsi que les cadres français et italiens du socialisme naissant vont se concerter pour mettre un frein à cette violence xénophobe , insistant sur les intérêts communs des ouvriers , de quelque nationalité qu ’ ils soient , face au patronat . Une leçon qui allait porter ses fruits .
Des Italiens travaillent le sel , région d ’ Arles dans les années 1930 © Collection Centre de la Résistance et de la Déportation du Pays d ’ Arles , fonds Charles Barontini Droits réservés
Vers l ’ intégration

Au tournant du XX ème siècle , les choses commencent à changer pour la communauté italo-marseillaise , forte de 100 000 individus ( pour une population globale de 550 000 habitants ). Le regroupement familial et les naturalisations vont bon train . Les unions mixtes ( un Italien , une Française ) se banalisent . Désormais les Italiens , malgré quelques incidents sporadiques , s ’ intègrent au paysage social . Ils se sont politisés et ne sont plus les derniers , tout au contraire , à s ’ opposer aux patrons lorsque leurs exigences sont trop injustes . Du coup , le patronat marseillais lorgne du côté des Espagnols et des Algériens - alors ressortissants français - générant ainsi un nouveau processus d ’ immigration , même plus temporaire . L ’ entrée en guerre de l ’ Italie aux côtés de la France en 1915 puis , moins de dix ans après , l ’ établissement du régime fasciste , vont entraîner de nouveaux flux migratoires transalpins , mais d ’ une moindre ampleur qu ’ au siècle précédent . Aujourd ’ hui , dans cette ville où un habitant sur trois a des ascendances italiennes , ces discriminations peuvent paraître lointaines , voire folkloriques . Mais d ’ autres ethnies , depuis , ont pris le relais dans la grande noria humaine , produisant les mêmes phénomènes de rejet chez ceux qui sont eux-mêmes des enfants d ’ immigrés . C ’ est ce qu ’ on appelle avoir la mémoire courte …

Novembre / Décembre 2016 _ TM n ° 42 21
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