vous
PORTRAIT
ENTRETIEN _Jacques LUCCHESI
Frédéric Ortiz
ou l’aventure
du Théâtre Off
Le cheveu a blanchi mais l’œil n’a rien
perdu de sa malice et la passion perce
toujours dans ses propos. Comédien,
animateur et metteur en scène, Frédéric Ortiz est à l’origine d’une des plus
singulières aventures théâtrales qu’ait
connue Marseille : le Théâtre Off. Petit
portrait en 4 questions.
ToutMa : Avant d’être un métier, le théâtre a été pour toi
une passion, un bouillon magique dans lequel tu es tombé
dès l’adolescence ?
Frédéric Ortiz : En effet. J’avais 12 ans et j’habitais alors
dans le quartier de la Blancarde. Un professeur de mon
collège y avait ouvert un club de jeunes. On y trouvait des
ateliers d’émaux, de modélisme et aussi de théâtre. J’avais
d’abord opté pour les modèles réduits mais l’animateur
s’étant trompé de jour, je me suis retrouvé au cours de
théâtre. J’ai rencontré un professeur qui s’appelait Alain
Hillel, très moderne dans l’approche de cet art. Ce jourlà je suis monté sur la scène et j’ai su que c’était ce que je
voulais faire dans la vie. De retour chez moi, j’ai demandé
à ma mère de m’acheter un disque : « L’Avare » interprété
par Michel Bouquet. Je me souviens l’avoir écouté des
journées entières.
TM : Puis il y a eu, peu à peu, ta professionnalisation et la
création du Théâtre Off en 1984…
FO : Au début des années 80, il n’y avait pas encore de
petites salles à Marseille. La Criée venait d’ouvrir en 1981;
le Gymnase était fermé, le Toursky était excentré et le Lenche
démarrait à peine. Moi je ne voulais pas faire la tournée
des salles pour présenter mes projets. Par chance, j’ai
rencontré Andonis Vouyoucas qui animait un théâtre
expérimental rue Grignan : l’Espace Massalia. Ce fut le
déclic pour moi. J’aurai moi aussi mon propre lieu théâtral !
On a trouvé et retapé un local vacant au 14 quai de RiveNeuve, dans le porche d’un vieil immeuble marseillais.
Anne-Marie Ortiz, mon épouse, était animatrice au
service psychiatrique de la Timone. Avec quelques patients
comédiens, on a débuté par un spectacle (déjà rodé à La
le centreCogito’Z de Marseille
Hiver 2015 _TM n°38
rencontre
Criée) : « La folie est un coup monté ». Parallèlement, on a
repris des pièces classiques, mais en les réactualisant. Une
troupe d’élèves-comédiens s’est peu à peu constituée, de
1986 à 2004. J’ai formé ainsi une génération d’acteurs
malgré bien des tracasseries administratives.
TM : Ce théâtre de recherche avec les hôpitaux
psychiatriques t’a amené par la suite à t’intéresser aux
prisons et aux adolescents délinquants.
FO : J’ai toujours considéré que le théâtre était un média,
voire une main tendue et une bouffée d’oxygène. Au
sortir de mes études de comédien-animateur, j’ai travaillé
avec des aveugles et des malentendants. Ce théâtre
« différent », qu’Anne-Marie menait déjà à la Timone, m’a
passionné. Il implique d’autres bases, d’autres moyens et
ça peut vous mener très loin. Assez vite, notre travail avec
un public en souffrance a été reconnu sur le plan national.
Par la psychiatrie, on s’est ainsi retrouvés à travailler avec
les Baumettes puis avec l’Établissement Pénitentiaire pour
Mineurs (EPM), ouvert en 2007 à la Valentine. Les ateliers
ont débuté en 2008 puis, en 2010, nous y avons créé une
résidence d’artiste : « le 4ème Mur ». Le travail avec ces
jeunes reste, néanmoins, très délicat car à l’incarcération
s’ajoutent les problèmes de l’adolescence. Il faut prendre
en compte leur violence, savoir se remettre en question.
Mais quel bonheur que de voir des gamins se découvrir
acteurs et auteurs quand rien, socialement, ne les y
prédisposait !
nous avons plusieurs spectacles en préparation, dont
deux pièces de jeunesse de Georges Feydeau, « Par la
fenêtre » et « Amour et piano ». Nous les répétons dans le
local du quai de Rive-Neuve, devenu à présent « La Maison
de Nina », une école de cirque qu’anime et dirige notre
fille Sophie Ortiz. Par la suite, elles tourneront dans le
circuit scolaire. Il y aura aussi des reprises comme « Étoiles
jaunes » et « L’homme qui rit », d’après Victor Hugo
avec Lionel Mazari dans le rôle du récitant. Depuis que
nous avons fermé, en juillet 2014, le Laboratoire-Open du
Panier, nous sommes devenus une compagnie itinérante.
Et, en cela, nous restons fidèles à l’esprit du Théâtre Off :
aller à la rencontre du public, le surprendre et l’amener là
où il ne s’y attendait pas.
Pour toute information
_04 91 31 13 33 ou _06 81 80 00 96
TM : Comment se présente la saison 2015-2016 ?
FO : Très bien. Outre nos activités pédagogiques à l’EPM
et dans les lycées (écritures urgentes, formation d’acteurs),
14
Anne-Marie et Frédéric Ortiz lors d’un atelier
Retrouvez tous nos reportages sur www.toutma.fr