culture
ACTU LITTÉRAIRE
TEXTE _Caroline BOUTEILLÉ
Sigolène VINSON
Martigues, terrain de jeu littéraire
Au début du printemps, nous vous parlions de Maritima, le dernier ouvrage
de Sigolène Vinson. Un roman choral aussi déroutant que lumineux, qui prend
place dans un Martigues fantasmé, à mi-chemin entre rêve poétique et cau-
chemar pétrochimique. La belle saison s’affirmant, nous avons eu envie de nous
replonger dans cet univers qui prend sa forme en été, quand la lumière devient
« pure, peut-être trop franche ». L’occasion de demander à Sigolène de nous
parler de son travail d’auteur…
ToutMa : Sans « spoiler » nos lecteurs, difficile de faire
coller Maritima à un genre. Au début, on croit à un récit
intimiste, peut-être initiatique, avant qu’il ne change plu-
sieurs fois de forme. Comment, toi, le définirais-tu ?
Sigolène Vinson : Alors là… Au départ, je souhaitais
l’intituler Histoires naturelles. Donc, je dirais qu’il est du
genre « histoires naturelles », mais « histoires naturelles
des hommes », quoique des animaux, ça marche aussi.
D’autant plus si nous sommes des « animaux politiques »,
comme dirait Aristote, qui dans le roman n’est pas seu-
lement un philosophe mais aussi un chat et vice versa. Si-
non, j’ai entendu des lecteurs parler de « fable sociale ».
Et fable, ça me va.
TM : D’ailleurs, tu t’es illustrée aussi bien dans l’autofic-
tion que dans le roman policier, toujours en mélangeant les
codes, mais qu’est-ce qui, au moment de te lancer dans un
synopsis, te fait pencher d’un côté plutôt que de l’autre ?
Quel a été le déclencheur pour Maritima ?
SV : C’est essentiellement Martigues. Les contradictions
de son territoire qui dans mon imaginaire devaient forcé-
ment déteindre sur ses habitants. Tant de contradictions,
industries mêlées à la nature, usines sous la lumière, tor-
chères en bord de mer, devaient devenir les complexités
de nos âmes simples. Quand je dis « nos âmes simples », ce
sont nos existences, qui avant d’être celles d’êtres mortels
dans un univers plus grand que nous sont celles d’êtres au
quotidien : comment vivre ? de quoi vivre ? etc. Ensuite,
seulement : comment vivre, de quoi vivre, dans un absolu
qui nous échappe, habitants d’une galaxie qui va droit vers
ce que les astrophysiciens appellent le Grand Attracteur ?
TM : La poutargue, les canaux… c’est vrai qu’on se
sait à Martigues. Pourquoi as-tu pris le parti de ne pas
la nommer ?
Été 2019 _TM n°55
SV : Je ne la nomme pas ou la nomme Ma-
ritima, du nom de la ville gallo-romaine
qui lui a précédé, parce que c’est elle sans
être elle, c’est elle fantasmée, tordue aux
besoins de l’histoire, magnifiée ou abîmée
pour une musique ou une ambiance, pour
coller aux protagonistes et à ce qui leur
arrive. Parce qu’elle est le personnage
principal du roman mais aussi, et peut-
être seulement, le décor dans lequel tous
les autres évoluent.
TM : On a l’impression que tu joues en permanence
avec les attentes du lecteur. Quel jeu narratif cela te
permet-il de mettre en place ?
SV : Avant de jouer avec les attentes du lecteur, je crois
surtout que je le fais attendre. Mes romans sont toujours
lents au démarrage. Parfois même, ils ne démarrent jamais.
La langueur et la lenteur sont un peu mon crédo, mais sou-
vent, et j’ignore pourquoi, il faut que le drame surgisse.
Peut-être parce qu’à la fin, tout le monde, de toute façon,
disparaît…
TM : Cette tension que tu ménages est portée par un jeu
constant sur les contrastes, que ce soit dans les motifs
que tu mets en avant ou dans ton style. Est-ce un moteur
d’écriture majeur pour toi ?
SV : Sûrement. Avoir une écriture soutenue pour ensuite
tout envoyer balader. Comme un devoir bien rédigé sur
lequel on laisse des taches d’encre. On pouvait, je crois,
quand j’étais à l’école, avoir des points en moins pour
copies mal soignées ou sales. Parfois, je faisais une grosse
tache pour cacher une faute d’orthographe. La prof ne se
faisait pas avoir et j’obtenais rarement la moyenne. Les
passages lyriques permettent de mettre en relief les pas-
sages proches de l’oralité et vice versa (comme Aristote
qui est un chat et un philosophe…). Les uns donnent de
l’importance aux autres et inversement. Cela rappelle
aussi les différents niveaux de langage que nous pouvons
avoir, la façon que nous avons de parler en société, celle
que nous avons en famille, celle que nous avons dans l’inti-
mité amoureuse…
TM : As-tu le sentiment que c’est le journalisme qui
t’a formée à décortiquer les mécanismes qui régissent
le monde ?
SV : Je ne suis pas vraiment journaliste. Je n’ai pas été
formée à ce métier. Je le suis devenue parce que j’ai écrit
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un premier roman * qui a plu à Patrick Pelloux, qui m’a
fait rentrer à Charlie Hebdo. Je dirais même que je n’écris
pas du tout comme une journaliste, je suis peu factuelle.
TM : Tu as repris, tout de même, une expérience à la-
quelle s’est réellement soumise la rédaction, l’analyse
des pesticides… **
SV : Ça, c’est vrai. L’expérience consistait à donner une
mèche de cheveux pour déterminer les taux de pesticides
dans nos organismes. Il s’est avéré que j’avais deux pro-
duits interdits depuis plus de vingt ans en France…
TM : Ton prochain livre est-il déjà en chantier ? Peux-tu
nous dire de quoi il parlera ?
SV : J’ai une vague idée… Peut-être une histoire d’amour.
Ce que jusqu’à présent je n’ai pas été capable d’écrire.
J’ai déserté le pays de l’enfance, éditions Plon
Pour en savoir plus, voir l’initiative
« Nous voulons des coquelicots »
_nousvoulonsdescoquelicots.org
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Maritima
Sigolène Vinson
Éditions de l’Observatoire
304 pages, 20 €
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