ToutMa ToutMa n° 55 - Eté 2019 | Page 32

histoire NOTRE VILLE TEXTE _Romain BONY-CISTERNES L’intemporelle VILLA VALMER Intemporelle, on l’aperçoit parfois au gré d’une promenade sur la Corniche, nichée sur les hauteurs dans un écrin de verdure, en retrait par rapport à cette avenue très empruntée par les automobilistes. Sans qu’on en connaisse tout à fait l’histoire, et c’est bien là notre propos, elle fleure bon le passé glorieux de Marseille, accrochée sur un roc face à l’immaculée Méditerranée, vestige du riche passé commercial de la ville, à l’époque des grands négociants. À l’image de certaines de ses semblables qui par- sèment la célèbre Corniche Kennedy, comme la Villa Gaby (au numéro 285), propriété de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille, ou le château Ber- ger, qui abrite un fameux centre de bien-être, la Villa Val- mer semble attirer la curiosité. Située au numéro 271, presque invisible depuis la rue (à peine peut-on voir une entrée sommaire flanquée d’une allée qui serpente dans la nature), elle culmine à une hauteur raisonnable, plan- tée au cœur d’un parc de près de deux hectares, qui, dit- on, jouit d’un des angles de vue les plus époustouflants sur la cité phocéenne. Raison pour laquelle d’ailleurs ce parc, qui comme la villa qu’il abrite appartient à la Ville de Marseille, est resté, depuis les années 1970, public. O r, à Marseille, à l’exception notable des calanques, il ne reste guère d’écrin de verdure aussi luxuriant que celui-ci. De là, vous admirerez le pont de la Fausse- Monnaie, les îles du Frioul, la rade de Marseille ou en- core des espèces végétales moyen-orientales (comme le pin d’Alep) sous un angle sans pareil. La Villa Valmer et son parc forment donc un tout indissociable qui, depuis la construction de la villa en 1865, a épousé les reflets des époques qu’il a traversées, décennie après décennie. Été 2019 _TM n°55 Genèse d’un joyau du patrimoine architectural et culturel marseillais P difiée à la fin du xix e siècle, la villa constitue la com- mande spéciale d’un riche négociant de Salon-de- Provence, Charles Gounelle, tombé amoureux des environs. Ce Gounelle, à l’époque où Marseille était l’un des ports les plus flamboyants du monde, fit fortune dans le secteur des oléagineux, en négociant les huiles fabriquées à partir de matières premières venues des cinq continents. Grande famille de Marseille, les Gounelle cherchaient un lieu de villégiature à la hauteur de leur réputation : faste, majestueux, mais discret. La traversée tumultueuse du xx e siècle É N ée sous le nom de « Vague à la Mer », la villa devint en- suite, rapidement, et par contraction, « Valmer ». Un nom qui ne l’a plus quittée depuis. C’est l’architecte Henry Condamin, moins célèbre que Jacques Henri Espé- randieu mais à qui l’on doit l’élargissement de la rue Noailles et l’hôtel Grau sur le haut de la Canebière, qui imagina cette villa de style néo-renaissance ; comprenez : une architecture aux contours plutôt flous, directement héritée de la Renaissance, particulièrement en vogue entre le milieu et la fin du xix e siècle et caractéristique du style Second Empire. 30 our lui assurer l’avenir radieux auquel son proprié- taire la destinait, la villa fut bénie, dès 1867, par Mgr Place, alors évêque de Marseille, qui insista pour pour qu’on lui adjoigne une chapelle. Au décès de Charles Gounelle, c’est l’une de ses filles, devenue comtesse de Villechaize, qui en hérita. À voir la villa telle qu’elle est aujourd’hui, les volets le plus souvent fermés, ses pièces conservées par la fraî- cheur de l’obscurité, ouvertes seulement pour les grandes occasions, l’on pourrait la croire immortelle. Elle a pour- tant traversé un xx e siècle mouvementé, en passant de main en main, plus ou moins bien intentionnée. C ’est ainsi qu’en 1940, alors que la guerre éclate, elle est réquisitionnée par la marine allemande (Kriegs- marine), avant de revenir, après la période noire, entre les mains de l’École nationale de la marine marchande, qui en conservera la propriété pendant plus de vingt ans (entre 1945 et 1975). Elle a d’ailleurs été le siège de cette dernière jusqu’en 1967. Quoi de plus normal pour un joyau qui semble se confondre avec la mer ? Retrouvez tous nos reportages sur www.toutma.fr