ToutMa ToutMa n° 40 - Eté 2016 | Page 44
agenda
L’EXPO
TEXTE _Jacques LUCCHESI
un génie
sans piédestal
Edward Quinn
Picasso dans son atelier, Le Fournas1953
Tête de taureau, 1952.
Coll. particulière
©Succession Picasso 2016
On demandait un jour à Gide qui était selon lui le plus grand écrivain
français : « Hugo, répondit-il, hélas… ». Transposé dans le champ des arts
plastiques, ce mot va comme un gant à Picasso, tête d’affiche du MuCEM.
U
ne théorie romantique du génie voudrait que celui-ci paie ses dons par une
existence brève et misérable : voyez Van Gogh ou Modigliani. La vie de
Picasso s’inscrit en faux, d’un bout à l’autre, contre ce truisme. Car l’artiste aux
vingt-mille œuvres (recensées) aura été, durant sa longue existence, comblé par
tous les biens terrestres. Il a été le premier peintre à être starifié de son vivant et,
plus de quarante ans après sa disparition, ses tableaux caracolent encore au sommet
des ventes aux enchères. Oui, c’est sans doute cette insolente profusion, le scandale
Picasso ; d’où ce mélange d’envie et de dénigrement qui flotte toujours autour de son
nom. Mais si, d’aventure, on doutait toujours qu’il fût le plus grand artiste du XXème
siècle, une visite au MuCEM pour voir « Picasso, un génie sans piédestal », devrait
suffire à se persuader du contraire.
supports, dans tous les formats imaginables. S’il fallait ici faire un choix, il se porterait
sur « Passe de cape » (avril 1956) pour son épure du trait et cette architecture des
corps rehaussée de couleurs.
M
oins spectaculaire mais tout aussi prégnant
était son goût pour les oiseaux. Sans doute un
legs paternel puisque son père, l’excellent peintre
Don José Ruiz y Blasco, donnait lui-même
dans la colombophilie, comme on peut le voir avec
« Paloma » (1878). Et c’est tout naturellement que
Picasso conçut, pour le Parti Communiste (dont
il fut membre), le logo de la Colombe de la Paix,
Colombe de la paix,1950.
au lendemain de la guerre. Le fils cède la place au
Musée art et histoire de Saint-Denis
©Succession Picasso 2016
père, un peu plus loin, avec les jouets faits pour ses
enfants. On s’émerveille devant ces petites pièces en bois et en papier mâché, surtout
en sachant qui en est l’auteur, en pensant à leur valeur conséquente aussi. Picasso,
un nouveau Midas ? Au-delà de sa capacité à convertir l’art en or (dont on lui fît
souvent reproche), il y a son formidable appétit pour les formes artisanales, sa faculté
incroyable d’assimilation de toutes les techniques à des fins de création personnelle.
Cela vaut pour la céramique, qu’il étudia avec Jean et Suzanne Ramié sur la Côte
d’Azur, mais aussi pour l’orfèvrerie (avec François Hugo), la tapisserie (avec l’Atelier
Marie Cuttoli), la linogravure ou même la tôle et le béton. Autant d’apprentissages,
souvent tardifs, qui génèreront leur moisson d’œuvres originales, comme on peut le
voir dans les deux dernières sections. Il y a enfin les sculptures d’assemblage, qu’il
réalisa avec des objets récupérés (comme cette « Tête de taureau » avec un guidon et
une selle de vélo). On mesure ainsi tout ce que lui doivent les innombrables sculpteurs
contemporains qui travaillent, aujourd’hui, avec des matériaux industriels.
D
ans cette exposition riche de 270 œuvres, c’est le rapport - fondamental - du
maître catalan à la culture populaire qui est exploré et présenté avec clarté tout
au long d’un parcours, qui met en abîme les productions artisanales avec les œuvres
qu’elles lui ont inspirées. Car l’art - y compris le plus prestigieux - a partie liée avec
les impressions et les émois qui nous assaillent, enfants, devant le spectacle du monde.
A
insi, dès l’entrée, cette parodie d’exvoto ou la béretine catalane que l’on
retrouve dans le portrait (figuratif) de Paule
de Lazerme qu’il exécuta en 1954 : les
puristes le compareront certainement à celui,
plus cubiste, de la photographe américaine
Lee Miller, un peu plus loin. C’est avec le
même entrain qu’il fera entrer instruments
de musique et costumes de cirque dans son
travail en deux et trois dimensions. Observez
Le Banderillero, 1959.
Frederick Mulder ©Succession Picasso 2016
« L’acrobate bleu » (1929) et vous aurez une
idée de son intuition de la forme humaine qu’il mît en scène dans toutes les positions.
Quant à la corrida, dont il était un fervent amoureux, il la déclinera sur tous les
Été 2016 _TM n°40
MuCEM
Esplanade du J4, Marseille 2ème
mucem.org _04 84 35 13 13
I
l faut, en dernier lieu, rendre grâce au MuCEM pour organiser
à Marseille des expositions de cette envergure. Ne fut-ce que
pour prolonger un peu l’euphorie culturelle de 2013…
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©Maurice Aeschimann
PICASSO
du 27 avril au 29 août 2016
Tous les jours sauf le mardi