Tennis-mag #113 - Décembre 2018 Tennis-mag #113 | Page 9
Tennis Québec/James Hajjar
LA CHRONIQUE DE JAMES HYNDMAN
LE COMÉDIEN JAMES HYNDMAN N’EST PAS SEULEMENT
FÉRU DE THÉÂTRE ET DE CINÉMA. IL EST AUSSI AMOUREUX
DE TENNIS ET DE LITTÉRATURE. IL NOUS EN FAIT LA
DÉMONSTRATION À TRAVERS CETTE CHRONIQUE QU'ON
LUI A CONFIÉE EN NOVEMBRE 2015.
SCROUNCH
Et scrounch la raquette. Défoncée. Tordue.
Ratatinée. Bonne pour la poubelle. De rage. De
dépit. D’impuissance. De frustration. Pour « sortir
le méchant ». Évacuer « la pression ». Exulter. Se
défouler. Se secouer. Tous les prétextes sont bons,
toutes les raisons valables. Qui n’a pas éprouvé
au moins une fois l’envie de tout envoyer valser.
Federer lui-même s’en est longtemps donné à
cœur joie, et deux fois plutôt qu’une, avant de
devenir le Roger qu’on connaît. Je m’en confesse :
je n’étais pas tendre avec mes raquettes du temps
de mon adolescence, une adolescence qui encore
aujourd’hui – il me faut bien l’avouer – me rattrape
à l’occasion. Les plombs qui sautent et moi, on était
comme larrons en foire. Ça venait tout seul. Une
explosion soudaine, une éruption incontrôlable
(pensais-je). Un excès de folie passager. Une propen-
sion discutable, bien sûr. Lambert, mon partenaire
du week-end pendant des années, avait le secret
de ne pas se satisfaire d’une seule raquette réduite
en miettes : il lui en fallait deux. La première avait à
peine le temps de rendre l’âme qu’il se précipitait
sur son sac pour en sortir une seconde, qui prenait
derechef le même chemin. J’en étais enchanté. Je
l’observais, sourire en coin, rempli de tendresse et de
compréhension : celui-là était encore plus fêlé que
moi. Vous aurez compris qu’au chapitre des sautes
d’humeur et des raquettes pulvérisées, j’en connais
un rayon, et que le moins que je puisse faire, c’est
SEULEMENT. SEULEMENT QUAND SERENA MARTÈLE LA SIENNE, EN FINALE
D’UN TOURNOI DU GRAND CHELEM, DEVANT DES DIZAINES DE MILLIONS DE
TÉLÉSPECTATEURS, JE DÉCROCHE. JE NE PEUX PLUS SUIVRE. NON, CE N’EST
PAS BIEN, COMME L’ÉCRIVAIT MARTINA NAVRATILOVA DANS SA LETTRE
PUBLIÉE DANS LE NEW YORK TIMES, « WHAT SERENA GOT WRONG ».
de m’abstenir quand vient l’heure de donner des leçons. L’impulsion
irréfléchie, je peux comprendre. Règle générale, ne comptez pas trop
sur moi pour monter sur mes grands chevaux et me scandaliser de
menus écarts de conduite. Devant l’adversaire, et surtout face à soi, à
ses nerfs fragiles, aux attentes que l’on ne manque pas de faire peser
sur ses épaules, on est bien seul, et tout peut arriver, le meilleur comme
le pire. Seulement. Seulement quand Serena martèle la sienne, en
finale d’un tournoi du Grand Chelem, devant des dizaines de millions
de téléspectateurs, je décroche. Je ne peux plus suivre. Non, ce n’est
pas bien, comme l’écrivait Martina Navratilova dans sa lettre publiée
dans le New York Times, « What Serena got wrong ». Et comme se
plaît à me le répéter mon entraîneur impassible, si tu peux retenir le
geste quand les circonstances l’exigent (pour les juniors : lorsque les
entraîneurs de Tennis Québec ou de Tennis Canada sont présents,
par exemple), alors tu es capable d’en faire autant le reste du temps.
Savoir se retenir à l’occasion, c’est dire que la capacité de le faire est
là. À chacun de s’en prévaloir tous les jours, jour après jour, et de s’en
faire un devoir si ce n’est une éthique personnelle. Il a raison, bien sûr.
Tancer ou haranguer un arbitre, on sait très bien où cela mène sur une
>> (La suite en page 81)
Tennis-mag nº 113 - Décembre 2018 - Par Tennis Québec
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