ReMed 2018 ReMed Magazine N°4 - Cutting Edge | Page 41

les valeurs morales aussi. On découvrit bien tard que HP Lovecraft fut raciste, comme le prouvent certaines de ses lettres clairement antisémites. Mais aussi que Lewis Car- roll, l’auteur d’Alice Au Pays Des Merveilles gardait des centaines de photos de son modèle de la jeune Alice nue, fait presque normal pour l’aristocratie de l’époque, mais qui aujourd’hui le ferait condamner pour pédophilie. On peut aussi citer Baudelaire et Hugo, terribles misogynes… et puis Rimbaud qui finira marchand d’armes, et la liste s’allonge. Aussi inexcusables et impardonnables que furent tous ces auteurs, leurs œuvres comptent pourtant parmi les plus appréciées et les plus appréciables, et c’est à ce moment que la distanciation s’opère. Il s’agira alors de tirer le meilleur de l’œuvre en tant que telle, comme l’on tirerait les enseignements philoso- phiques si utiles des œuvres de Voltaire, Montesquieu ou Rousseau, tous trois racistes et esclavagistes notoires, ou encore de Heidegger, un proche du troisième Reich. Il ne s’agira pas d’excuser, ou même de relativiser, car le but n’est pas là, il est tout autre. Il est plutôt de réussir, en funambule, à extirper la valeur artistique de l’œuvre en tant que telle. Dans le cas Céline, la césure est à faire, et elle est plus ou moins facile car l’œuvre romanesque reste, le plus sou- vent, très éloignée de sa pensée politique, qui se résume à ses pamphlets, ses tribunes, et à ses larges correspon- dances. Ainsi, si certains rêveraient de voir le tout Céline brûlé sur un bucher, d’autres, à les entendre, se crèveraient les yeux au lieu d’en lire, mais y perdraient, par-des- sus la vue, de passer à côté de l’une des écritures les plus intéressantes et innovantes du 20ème siècle. On serait effectivement tenté, en faisant connaissance plus ample avec le personnage de le traiter de tous les noms, mais l’œuvre reste à lire, et l’avis personnel à se faire. spectacle médiatique, ce qui, dans ce cas loin d’être isolé, soulève un questionnement moral profond au vu de la nature des œuvres en question. Références des images http://www.pileface.com/sollers/IMG/jpg/celine- proces-1950-640.jpg http://www.weblettres.net/blogs/uploads/r/Roume- goux/22264.jpg https://chaaabert.files.wordpress.com/2014/10/tardi. jpeg?w=1400 80 ans plus tard, Ferdinand fait toujours débat, il fascine autant qu’il répugne. Certains s’acharnent à prouver la sordidité du personnage, là où d’autres adulent aveuglement son génie. Personnage atypique, dérangé, dérangeant, détestable, sa lecture vous laisse rarement insensible. Entre horreur et beauté littéraire, que valent donc les idéaux portés par le voyage, et quels enseignements pouvons-nous tirer de l’œuvre Célinienne ? Une chose est sûre, comme tout auteur à scandale, la récupération nauséabonde est à guetter, et de toutes parts. Le projet de republication des pam- phlets de Céline par Gallimard s’y apparente. Le « dé- lire » Célinien, comme l’appelait Gide, déjà accessible sur internet, ou sous le manteau, mérite effectivement qu’on s’y attarde (et c’est déjà largement le cas), avec tous les risques de dérives qui peuvent y être associés. Un tel projet de réédition a pour unique but, comme tout projet d’édition, de générer du profit sur fond de ReMed Magazine - Numéro 4 41