grand public. Le livre donne l’impression d’avoir été
écrit avec la volonté d’être numéro un, le meilleur, de
rechercher une excellence dans sa spécificité.
Le succès est immédiat, la critique partagée, mais une
seule certitude émane, ce sera le prix Goncourt de
l’année 1932. Certitude démentie très vite par les ré-
sultats du prestigieux prix, qui est attribué à un autre
auteur, vite passé à la trappe de l’histoire. Suite à quoi
deux membres du jury démissionnent, faisant planer
le doute, dès l’époque, sur la partialité et la neutralité
du Goncourt. Céline devra donc se suffire du Renaudot.
Tout d’abord, le roman détonne surtout par la forme,
plus encore que le fond. Sa « petite musique » comme
il aime la décrire, ce style elliptique, révolutionne la
littérature du 20ème siècle : le langage parlé s’unit à
l’écrit, de manière judicieuse et efficace, au plus près
de l’émotion la plus immédiate. L’écriture est télégra-
phique, très argotique, et c’est ce qui choque, mais
aussi empreinte d’une touche scientifique propre au
parcours de l’auteur. Une mélodie qui oscille entre le
familier et le recherché, l’humour et le désespoir.
Précisément, le désespoir, c’est la trame de fond de
l’histoire de Bardamu. Au travers des yeux cyniques du
personnage nous sont portées des images terribles du
désarroi humain. On assiste aux ravages de la première
guerre mondiale, aux affres des colonies africaines, à
la déshumanisation dans les usines Ford (que Céline a
visité au cours de sa mission pour la SDN), à la famine,
à la pauvreté et à la précarité, mais aussi, et surtout, à
l’anarchie intérieure de l’homme, ses angoisses, ses
lubies. Un périple sur trois continents, où se succèdent
humour, désolation, infamie humaine, et la misère sous
toutes ses formes. Critique antimilitariste, anticolonia-
liste, anticapitaliste, certains iront à la considérer comme
une « profession de foi humaniste ».
On improvise alors Ferdinand porte-parole des
milieux défavorisés, et toute la gent de gauche l’ap-
proche. Louis Aragon lui-même essayera de le faire
adhérer au parti communiste sans véritable succès, et
sa compagne, Elsa Triolet, s’occupera de la traduction
en russe de l’œuvre, et réussira à le faire inviter en
URSS par la suite.
Meurtrissure et désillusion
Céline ne tardera pas à refrapper : « Mort à crédit »
est publié en 1936. Il y aura mis sa « peau sur la table
» comme on l’entendra dire, plus tard, dans certaines
interviews. Il l’a conçu comme l’aboutissement de son
style, l’apothéose de son art. Cependant, si le livre se
vend bien, il est lynché par la critique, aussi bien de
gauche que de d