ReMed 2018 ReMed Magazine N°4 - Cutting Edge | Page 35

Chronique : Espace Méditatoire Pour Nevrosés

La Fabrique du Crétin L ’ Apoptose de l ’ Ecole

Nazih Mohamed Zakari KOUIDRAT
Dans la chronique « l ’ Espace Méditatoire pour Névrosés », des résumés et des synthèses de livres et d ’ essais sont exposés , dans l ’ intention de susciter et d ’ attiser la curiosité des étudiants envers le domaine des Sciences Sociales . La présente contribution se veut une invitation en direction des lecteurs à plonger dans une variété de sujets , susceptibles d ’ apporter des éléments de réflexion sur différents phénomènes de société .
Prologue

La faillite de l ’ école est une réalité admise par les enseignants qui constatent l ’ abrasement de la réflexion de leurs élèves , leur répugnance face aux exercices de l ’ esprit et leur incapacité chronique à produire une analyse ou une critique constructive . Les parents sont également sidérés de voir leurs enfants en terminale sachant à peine lire et écrire . Ainsi , dans son livre « La fabrique du crétin », BRIGHELLI Jean-Paul nous expose une réflexion sur l ’ état de l ’ Ecole Française ( 2005 ). Mais pourquoi ce livre ? Primo , parce qu ’ il est court ! Secundo , tenant compte des similitudes entre les systèmes éducatifs algérien et français , une réflexion sur un tel livre peut ne pas être inutile . L ’ auteur entend donc par crétin , la fabrique , le fabriquant et le fabriqué ; en d ’ autres termes , l ’ école et son penseur , l ’ enseignant et le produit , l ’ élève .

Le début de la fin Les premiers symptômes de la maladie de l ’ école sont apparus peu après mai 68 , quand « l ’ école dite de papa » fut prise pour cible . L ’ instituteur a été tué , afin que les libertaires les plus tordus se débarrassent de leur Œdipe , pour se sentir enfin adulte , en remplaçant l ’ art de l ’ apprentissage par de la didactique . La phase d ’ état a été inaugurée par les deux chocs pétroliers et la révolution informatique qui ont soumis l ’ école pour façonner un individu stéréotypé , polyvalent , sans histoire , sans base , « capable de passer , sans protester , de CDD 1 en intérim et en ANPE 2 ». Un crétin servile , gélatineux , amorphe , corvéable à merci , capable de tout accepter devant la formidable formule : « Travaillez , et taisezvous : il y en a trois millions qui attendent à la porte … » Les systèmes ont besoin de mettre en concurrence des crétins bon marché , incapables d ’ analyser et de se penser à l ’ intérieur du système et , in fine , de le critiquer . En apparence , il est dit que les multitudes de formations proposées « BEP 3 , les Bac pro 4 , les BTS 5 , les filières courtes , les formations qualifiantes , les stages de formation », servent à combattre le chômage et réduire les inégalités . En vérité , ces qualifications , dont la multitude trahit une vacuité intrinsèque et un cloisonnement cérébral par hyperspécialisation , ne font qu ’ obéir aux besoins immédiats de l ’ industrie , et non à ceux qui seront les siens quelques
années plus tard . De ce fait , le crétin , éternellement sousqualifié , lui sera vendu des sous-formations pendant toute son existence .
Apartheid social et pédagogie coloniale A titre illustratif , en se référant au Bulletin de renseignement des Indigènes de l ’ Académie d ’ Alger , publié à partir de 1893 , il est stipulé : « Nous ne voulons faire des indigènes ni des fonctionnaires , ni des ouvriers d ’ art , mais nous croyons que l ’ indigène sans instruction est un instrument déplorable de production . » Aussi , les programmes scolaires établis jadis ont exclu les disciplines dangereuses : « les Sciences , l ’ Histoire , la Géographie ... En revanche seront amplement enseignées l ’ hygiène et l ’ agriculture . » Ainsi , et à titre d ’ exemple , le français enseigné à l ’ indigène était un français fonctionnel et simple . Les programmes interdisaient d ’ aborder la littérature : « une personne n ’ ayant que des besoins matériels n ’ est guère prête pour goûter notre littérature . » Aujourd ’ hui , ce genre d ’ écoles à deux vitesses sont en France . D ’ un côté , des lycées pour les indigènes représentés par les banlieusards qui reçoivent des enseignements « adaptés » à leur milieu social . De l ’ autre , il y a les lycées des « héritiers », de la culture à foison .
ZEP ( Zones d ’ Éducation Prioritaire ) Aux dernières nouvelles , le lycée subit la pseudo-loi du darwinisme social ; des lycées pour banlieusards sont érigés à la périphérie des grandes métropoles pour que les meilleurs étudient dans les meilleures conditions au centre . Les administrations encouragent dans les lycées en ZEP l ’ enseignement adapté comme si leurs élèves étaient naturellement déterminés à être des idiots ; le mépris institutionnalisé . Pire encore , au lieu de chercher à remettre à niveau l ’ enseignant et son enseignement , elles hurlent « Baptisez-moi ghetto ! » pour avoir plus de moyens et de biens afin d ’ en masquer leur indigence intellectuelle . L ’ auteur , ayant été affecté à un lycée en ZEP , fit ce témoignage : « Nous passâmes deux mois à étudier la poésie précieuse : Marbeuf , Saint-Amant , puis Gautier et Valéry en aval , Jean et Clément Marot en amont . Je peux certifier l ’ effet tranquillisant sur ce public des versifications de haute voltige . Tout ce qu ’ ils demandent , c ’ est d ’ être traités comme leurs camarades des ‘‘ beaux ’’ lycées . »
ReMed Magazine - Numéro 4 35