ReMed 2018 ReMed Magazine N°4 - Cutting Edge | Page 25

même à la raison. Si la valeur existe, c’est parce que chaque individu est capable de la reconnaître. Mais alors, si la valeur est reconnue de façon universelle pourquoi le cannibalisme existe ? pourquoi l’homme souffre-t-il donc de ses relations avec les autres ? Blaise Pascal Face à la mort, face à Dieu Si le problème de la morale et des valeurs morales se pose pour l’individu et la société c’est parce qu’il se rattache à l’idée d’avenir et de devenir. Si l’homme interagit avec son environnement dans le présent et sa mémoire le ramène dans le passé, sa cognition ac- tive dans le futur. Toutefois, en dehors de ce qui est empirique, la raison tourne dans le vide, et la pers- pective future n’est qu’une conjecture qui veut que les processus passés se reproduisent indéfiniment et éternellement dans le futur. Sauf que l’homme n’est pas éternel, et quand sonne l’heure de la mort, que ce soit pour autrui ou pour soi, la mécanique fragile, dans laquelle l’esprit moralement immoral s’est embourbé, se grippe et tout le concept de valeurs, tel que dicté par l’esprit, s’effondre sur lui-même. La mort est une tragédie, un drame qui se déroule sous nos yeux, sou- dain et imprévisible, absolu, indépendant de la per- sonne et de la passion. La mort est un scandale qui, non seulement survient indépendamment de la loi morale, la brise également. « La vie est injuste, il ne méritait pas de mourir », dit-on. La mort est aussi un mystère qui s’impose à l’individu sans qu’il puisse le cerner ou le comprendre. Ce caractère vertigineux de la mort s’impose à l’esprit comme un absolu, captive son attention et la détourne de ses menues préoccu- pations. Face à la mort, tout devient relatif : l’existence n’est qu’oisiveté, la passion est insipide, la morale et les valeurs sombrent dans le non-sens. « Necessitas non habet legem », littéralement : « Nécessité n’a point de loi ». Cet adage canonique, excusant presque tous les manquements et les immoralités, rappelle cette idée de relativité de la vie morale, car l’éternel mystère incompris révèle à l’esprit ses limites, ses imperfections, son impuissance. La dissolution mor- tem introduit à une réalité métempirique qui trans- cende l’existant et le dirige. Cette réalité, c’est Dieu, à qui on attribue l’éternité, l’absolutisme et l’idéal. La mort, dit Jankélévitch, reprenant le texte de Dostoïe- vski, est « comme Dieu, omniprésent et omniabsent ». Ce caractère, si mystérieux produit une ambivalence dans l’esprit : Tantôt il éprouve de la peur et tantôt il éprouve de l’admiration et de la fascination. L’homme condamné se retrouve dans le compromis, il a telle- ment peur de la mort si prochaine et de la rencontre de Dieu, qu’il tente d’acheter avec de bonnes actions quelques minutes, quelques heures ou quelques jours qui le sépareront de l’ultime instant ; Il tente égale- ment de racheter ses imperfections et ses fautes qui le rendent, selon lui, impropre à passer de l’autre côté, à rencontrer l’idéal. L’homme condamné est aussi un grand admirateur de la création : Il apprécie chaque levé du soleil, chaque fleur qu’il sent, chaque gazouil- lis qu’il entend, chaque soupir qu’il prend, chaque lumière qu’il voit, chaque souvenir qu’il se remémore ; Et ses bonnes actions, hormis le fait qu’ils tentent d’acheter la vie, deviennent une sorte d’offrande qu’il fait à Dieu pour récompenser la perfection de la créa- tion. L’homme mourant invente le pardon, l’altruisme, la charité et le désintéressement au-delà d’un strict respect d’une loi morale, au-delà d’un désir bienveil- lant, et au moment où la vie n’a vraiment plus rien à lui offrir. Ainsi, l’expérience morale, au-delà du fait d’être une nécessité sociale, ne trouve son objectivité que dans la quête de l’idéal, c’est-à-dire dans la quête spi- rituelle. Et inversement, le chemin vers Dieu est un chemin de morale, et la religion n’est que morale. L’homme invente la morale par utilité et la pratique par souci éthique et spirituel. Toutefois, si la finalité de la morale est éthique et spirituelle, sa construction doit passer par des étapes évolutives basées sur une finalité utilitaire ; L’homme moral est celui qui a fait l’expérience de la raison, de la socialisation, des pas- sions et du miracle. Si l’homme porte en lui le pouvoir d’inventer la morale et la valeur, il a besoin de vivre une réalité métempirique pour parfaire ses concepts et donner un sens à sa vie. Et c’est cette dernière conclusion qui permet de concilier subjectivisme et existentialisme. La dualité empirico-métempirique, de l’individu, de ReMed Magazine - Numéro 4 25