ReMed 2018 ReMed Magazine N°4 - Cutting Edge | Page 24

Savoir & Vivre

quelque chose en retour , pardonner l ’ infraction morale de l ’ autre . Le troisième élément que l ’ on tire de la définition , c ’ est le caractère collectif et universel dans la construction morale . Par le pouvoir de mon psychisme , je vois que l ’ autre me ressemble et que sa frustration vis-à-vis de l ’ acte que j ’ ai commis pourrait m ’ arriver si jamais l ’ autre reproduisait cet acte contre moi . C ’ est parce que l ’ acte en question est mauvais pour nous deux qu ’ il devient prohibé pour nous deux . Ou comme le dirait Kant sur le ton de l ’ impératif : « Agis toujours de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée en règle universelle ». Et cela est aussi bien valable pour ce qui est bon que pour ce qui est mauvais . Le quatrième élément qu ’ il faut avoir à l ’ esprit est que si la construction morale est collective l ’ invention de la règle morale semble être le fruit d ’ un effort psychique purement individuel . C ’ est en tous cas ce que soutient Jean-Paul Sartre lorsqu ’ il fait dire à l ’ un de ses personnages « Il n ’ y avait que moi : J ’ ai décidé seul du mal , seul j ’ ai inventé le bien ». En effet , le psychisme , basé sur l ’ expérience et la mémoire du plaisir et de la frustration , va inventer des situations imaginaires dans lesquelles il réalise l ’ extension de ses expériences passées et , par-delà , va définir ces situations comme un idéal absent du monde et contribue , de ce fait à transformer le monde , à transformer ses relations actuelles .
La valeur morale Morale et passions Dans un groupe d ’ individus , les relations sont souvent complexes , car s ’ il y a la raison qui établit les règles et tend à les respecter , il y a , à son côté , les désirs et les passions qui prennent le dessus sur la raison pour faire respecter une règle ou bien l ’ enfreindre . De plus , l ’ individu , par un souci passionnel de rigueur , finit par établir des règles , par excès , qui détruisent son estime pour lui et sa valeur dans la société . La passion , cette force supérieure qui nous submerge , malgré nous , qui prend les commandes de nos actes et dont l ’ origine inconsciente est liée à nos fixations et frustrations infantiles , ruine la morale en tant que concept objectif et totalement désintéressé . Et de ce fait une décision , respecter ou violer une règle , n ’ est rien d ’ autre , dit Claparède , qu ’ un « drame qui consiste dans le sacrifice d ’ un désir sur l ’ autel d ’ un autre désir . »
« La vraie morale se moque de la morale », Blaise Pascal … Les individus n ’ ont pas la même expérience de la morale , et la valeur que l ’ on donne à une règle est différente d ’ un individu à un autre et d ’ une société à une autre .
Édouard Claparède
Ce que je conçois comme mauvais ou bon n ’ a pas le même sens pour moi et pour les autres . C ’ est ce que l ’ écrivain Samuel Butler essaie de nous dire dans cette expression : « En pays cannibale , le cannibalisme est moral ! ». De plus , les règles morales établies sont liées à des contextes . Et les sortir de leurs contextes les dépossèdent de leur sens . Il m ’ est défendu de mentir , mais je dois parfois mentir pour sauver la vie de quelqu ’ un qui m ’ est affectivement cher , mon frère , mon ami , mon enfant . Autant le mensonge parait mauvais et immoral , autant la vérité crue peut paraître scandaleuse et péjorative pour son auteur . « Ce qui nous force à mentir », écrit Paul Valéry , « c ’ est le sentiment de l ’ impossibilité chez les autres qu ’ ils comprennent entièrement notre action . Même le mensonge le plus compliqué est plus simple que le vrai ». Ainsi , nous apparaît deux approches de la morale : La morale de l ’ éthique et la morale de l ’ honneur ; Deux points de vue en perpétuel conflit qui ne font que révéler la relativité et la subjectivité du concept de « morale ». Devant l ’ expression d ’ une nécessité référentielle , la conscience de la subjectivité morale a poussé – et poussent encore – des moralistes , classiques et contemporains , à rechercher un référentiel absolu , aussi bien sur le plan synchronique que diachronique , pour résoudre la problématique . On commence , alors , à parler de « valeur morale . » Le courant subjectiviste défend l ’ idée d ’ une création de valeurs comme corolaire de la liberté humaine et l ’ expression d ’ un désir de morale . Mais si cela est possible , il devient légitime qu ’ un individu conteste la valeur que les autres ont créée . Chacun sa vérité et chacun sa valeur et toutes les valeurs se valent entre elles et ce concept assassine la notion même de valeur . Le courant objectiviste existentialiste définit la valeur comme un concept absolu qui s ’ impose de lui-
24 Hiver 2018