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Le ciel de la Place Vendôme a
revêtu son manteau grisâtre
parsemé de tâches foncées.
Jadis, il exhibait une couleur aussi
pure et innocente que le rire d’un
enfant ; un bleu saphir marquant la
paix. L’air semble maintenant
saturé de prières et de rêves, de
rêves d’un monde où la peur ne
dévore point les gorges, d’un monde
où l’on s’offre des bouquets de fleurs
et non de plomb.
Les rires des passants et le klaxon
des voitures ont cessé sur la place
rectangulaire. C’est cette abomination qui les fît se taire. Seule la
colonne Vendôme au milieu de la place reste grande, digne. Sa
couleur verte d’eau, tapissée de tâches noires de sagesse,
rayonne comme le soleil. Napoléon en César, au sommet,
surplombe la place d’un regard grave et indigné. Il est prêt à
riposter. L’armée de magasins de luxe qui l’entoure admire son
ardeur mais tremble à l’idée de la bataille. Car oui, nous
sommes en guerre contre des fantômes, contre les monstres des
livres de contes, contre l’Horreur.
Le peuple a décoré la place de huit sapins gigantesques habillés
de centaines de guirlandes et de boules qui égayent cet endroit
terne. Ils sont placés au pied de la colonne, deux par deux, aux
quatre coins du rond-point, formant la garde de César.
Quelques dizaines de plus petits sapins en forme de lance ornent
les entrées des magasins, flamboyants. L’ostentation frivole de
ces boutiques a disparu. Toutes ces montres et ces bijoux dont la
valeur inestimable créait une marginalisation du peuple ne sont
plus qu’un tas de cailloux anodin, insignifiant. Cet obstacle
surpassé a permis à la nation de se rassembler, de se rapprocher,
de s’unir. Elle renaît de ses cendres sombres et de sa mer de
larmes. Maintenant qu’elle est soudée, elle est invincible. Une
rage muette bouillonne dans ses entrailles tel un volcan
préparant son éruption mortelle. Pareil à une louve à qui on
aurait arraché ses louveteaux, la France rugit de douleur, une