Paris et les Zola en herbe | Page 6

  6   Le ciel de la Place Vendôme a revêtu son manteau grisâtre parsemé de tâches foncées. Jadis, il exhibait une couleur aussi pure et innocente que le rire d’un enfant ; un bleu saphir marquant la paix. L’air semble maintenant saturé de prières et de rêves, de rêves d’un monde où la peur ne dévore point les gorges, d’un monde où l’on s’offre des bouquets de fleurs et non de plomb. Les rires des passants et le klaxon des voitures ont cessé sur la place rectangulaire. C’est cette abomination qui les fît se taire. Seule la colonne Vendôme au milieu de la place reste grande, digne. Sa couleur verte d’eau, tapissée de tâches noires de sagesse, rayonne comme le soleil. Napoléon en César, au sommet, surplombe la place d’un regard grave et indigné. Il est prêt à riposter. L’armée de magasins de luxe qui l’entoure admire son ardeur mais tremble à l’idée de la bataille. Car oui, nous sommes en guerre contre des fantômes, contre les monstres des livres de contes, contre l’Horreur. Le peuple a décoré la place de huit sapins gigantesques habillés de centaines de guirlandes et de boules qui égayent cet endroit terne. Ils sont placés au pied de la colonne, deux par deux, aux quatre coins du rond-point, formant la garde de César. Quelques dizaines de plus petits sapins en forme de lance ornent les entrées des magasins, flamboyants. L’ostentation frivole de ces boutiques a disparu. Toutes ces montres et ces bijoux dont la valeur inestimable créait une marginalisation du peuple ne sont plus qu’un tas de cailloux anodin, insignifiant. Cet obstacle surpassé a permis à la nation de se rassembler, de se rapprocher, de s’unir. Elle renaît de ses cendres sombres et de sa mer de larmes. Maintenant qu’elle est soudée, elle est invincible. Une rage muette bouillonne dans ses entrailles tel un volcan préparant son éruption mortelle. Pareil à une louve à qui on aurait arraché ses louveteaux, la France rugit de douleur, une