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Cet espace d’habitude vivant, peuplé de skateurs, de
manifestants, d’artistes ou d’écoliers est là vide, exsangue. Les
quelques silhouettes noires marchent le plus vite possibles, la tête
baissée, essayant d’éviter le froid, et de semer la peur qui les suit
et les attend à chaque coin de rue comme un vent sec et
omniprésent. Ces personnes-là, qui normalement bravent les
peurs en premier, ces jeunes gens représentant la force, le sang,
le futur de la France, se taisent aujourd’hui. Ils ont été les
victimes principales et se recueillent, arrêtent de vivre pour
quelques jours. Le patriotisme au fond de chacun bat à son
plein, fait office de dernier rempart. Les rares qui lèvent la tête
peuvent observer le drapeau, et se réconfortent, regardent
ensuite les fleurs, les bougies, puis derrière eux. Le danger les
regagne et les pousse à reprendre leurs chemins: ils scrutent
donc le sol, le regard vide, et se concentrent sur leur destination.
Même les touristes qui d’habitude errent, vont de bancs en
bancs, font plusieurs fois le tour en discutant de façon
nonchalante, là, se pressent, ils préfèrent rester debout, le temps
d’une photo ou de quelques brefs commentaires. Les assises de
cette place sont constituées de quelques planches de bois,
étroites, et les promeneurs ont peur d’y rester trop longtemps.
Les habitués, eux, ne peuvent résister à une petite balade, mais
plus frileux que d’habitude, ils ne s’attardent pas.
Le désir de vengeance consume déjà les plus coléreux, et
naît tout juste dans les plus calmes. Il existe au plus profond de
chacun le désir de voir le pays entier, unanime, se battre,
bomber le torse et crier sa rage, montrer les crocs, et lever haut
les poings. Mais le moment n’est pas encore venu. Le deuil plus
puissant encore, recouvre les autres pulsions, et laisse place au
respect, à la paix : laissant le moral et les valeurs primordiales
prendre le dessus sur la rationalité et l’ambition.