Paris et les Zola en herbe | Page 43

  43   Cet espace d’habitude vivant, peuplé de skateurs, de manifestants, d’artistes ou d’écoliers est là vide, exsangue. Les quelques silhouettes noires marchent le plus vite possibles, la tête baissée, essayant d’éviter le froid, et de semer la peur qui les suit et les attend à chaque coin de rue comme un vent sec et omniprésent. Ces personnes-là, qui normalement bravent les peurs en premier, ces jeunes gens représentant la force, le sang, le futur de la France, se taisent aujourd’hui. Ils ont été les victimes principales et se recueillent, arrêtent de vivre pour quelques jours. Le patriotisme au fond de chacun bat à son plein, fait office de dernier rempart. Les rares qui lèvent la tête peuvent observer le drapeau, et se réconfortent, regardent ensuite les fleurs, les bougies, puis derrière eux. Le danger les regagne et les pousse à reprendre leurs chemins: ils scrutent donc le sol, le regard vide, et se concentrent sur leur destination. Même les touristes qui d’habitude errent, vont de bancs en bancs, font plusieurs fois le tour en discutant de façon nonchalante, là, se pressent, ils préfèrent rester debout, le temps d’une photo ou de quelques brefs commentaires. Les assises de cette place sont constituées de quelques planches de bois, étroites, et les promeneurs ont peur d’y rester trop longtemps. Les habitués, eux, ne peuvent résister à une petite balade, mais plus frileux que d’habitude, ils ne s’attardent pas. Le désir de vengeance consume déjà les plus coléreux, et naît tout juste dans les plus calmes. Il existe au plus profond de chacun le désir de voir le pays entier, unanime, se battre, bomber le torse et crier sa rage, montrer les crocs, et lever haut les poings. Mais le moment n’est pas encore venu. Le deuil plus puissant encore, recouvre les autres pulsions, et laisse place au respect, à la paix : laissant le moral et les valeurs primordiales prendre le dessus sur la rationalité et l’ambition.