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CULTURE
On vous découvre un trait d’une extrême
violence.
Ce trait révèle mon émotion, et en même temps
la haine que je peux exprimer à l’égard de cette
période si terrible. Lui-même s’est montré très
troublé à la première vision de mes croquis. Il m’a
dit : « C’est très violent ! » Et je lui ai répondu :
« Mais est-ce que tu as relu ton propre livre, toi ? »
Ce qui me semble extrêmement important, c’est que
beaucoup se sont tus parce qu’ils se sont retrouvés
dans l’incapacité de dire ce qu’ils ont vécu, y
compris à leur proche famille. Lui au contraire, à
force d’écrire, a retrouvé une vie.
Peter Knapp,
Lot et ses filles, 9 avril 2001
Encre de Chine et vernis sur papier
© Peter Knapp
Photo : Peter Knapp
Est-ce aussi pour cette raison que vous faites de
la photographie, art permettant la captation du
réel, du temps présent ?
Je ne fais pas de la photographie, je fais de l’image.
Si je dessine, photographie, filme, mets en page un
livre, tout cela relève pour moi de la communication
visuelle. Ce n’est pas parce que je sais peindre que je
peins, parce que je sais photographier que je
photographie. C’est parce qu’un ciel bleu est
crédible en photo que je le photographie plutôt
que de le peindre. Ce n’est pas l’outil qui me mène,
c’est plutôt l’imaginaire qui me mène à l’outil. En
même temps, le souci d’authentification n’est pas
important pour moi et j’aime beaucoup cette phrase
de Picasso : « Quand je n’ai pas de bleu, je mets du
rouge ».
Le principe de la commande est une tradition
dans l’Histoire de l’art. D’évoluer dans un
cadre, ça semble vous plaire…
Dans le fond, je suis artiste, mais je souffre souvent.
Vous savez, récemment, j’ai eu plusieurs expositions
personnelles, mais je n’ai quasiment rien fait de
nouveau, si ce n’est une ou deux petites choses qui
m’ont satisfait. Dès que j’ai un coup de téléphone
de quelqu’un qui me dit « Est-ce que vous voulez
bien faire un truc pour moi ? », je suis absolument
ravi ! La commande, ça vous sort du doute. Oui, ça
vous sort de l’angoisse… Je raconte souvent à mes
élèves l’anecdote concernant Jean-Luc Godard
et Le Mépris. J’aimerais vraiment croire que c’est
vrai... Lorsque Godard a montré Le Mépris à son
producteur Carlo Ponti, ce dernier lui aurait
dit : « Jean-Luc, ton film est très bien, mais tu ne
t’imagines tout de même que je te paie Brigitte
Bardot, sans que tu montres son cul dans ton film ! »
Godard rappelle Bardot et lui dit : « Il faut que tu
reviennes ! Je dois filmer ton cul dans toutes les
couleurs ! » Cette scène ouvre le film, elle est celle
qu’on retient. Godard a su réinterpréter la critique
et trouver la solution. Il faut être suffisamment libre
pour introduire des choses positives, même si la
contrainte est imposée.
Peter Knapp illustrateur
(dessins 1952-2016)
jusqu’au 2 juillet au Musée Tomi Ungerer,
à Strasbourg
www.musees.strasbourg.eu
À paraître Peter Knapp
et Emmanuel Abela, Lot & ses filles,
Chicmédias, Coll. Desseins