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54 CULTURE On vous découvre un trait d’une extrême violence. Ce trait révèle mon émotion, et en même temps la haine que je peux exprimer à l’égard de cette période si terrible. Lui-même s’est montré très troublé à la première vision de mes croquis. Il m’a dit : « C’est très violent ! » Et je lui ai répondu : « Mais est-ce que tu as relu ton propre livre, toi ? » Ce qui me semble extrêmement important, c’est que beaucoup se sont tus parce qu’ils se sont retrouvés dans l’incapacité de dire ce qu’ils ont vécu, y compris à leur proche famille. Lui au contraire, à force d’écrire, a retrouvé une vie. Peter Knapp, Lot et ses filles, 9 avril 2001 Encre de Chine et vernis sur papier © Peter Knapp Photo : Peter Knapp Est-ce aussi pour cette raison que vous faites de la photographie, art permettant la captation du réel, du temps présent ? Je ne fais pas de la photographie, je fais de l’image. Si je dessine, photographie, filme, mets en page un livre, tout cela relève pour moi de la communication visuelle. Ce n’est pas parce que je sais peindre que je peins, parce que je sais photographier que je photographie. C’est parce qu’un ciel bleu est crédible en photo que je le photographie plutôt que de le peindre. Ce n’est pas l’outil qui me mène, c’est plutôt l’imaginaire qui me mène à l’outil. En même temps, le souci d’authentification n’est pas important pour moi et j’aime beaucoup cette phrase de Picasso : « Quand je n’ai pas de bleu, je mets du rouge ». Le principe de la commande est une tradition dans l’Histoire de l’art. D’évoluer dans un cadre, ça semble vous plaire… Dans le fond, je suis artiste, mais je souffre souvent. Vous savez, récemment, j’ai eu plusieurs expositions personnelles, mais je n’ai quasiment rien fait de nouveau, si ce n’est une ou deux petites choses qui m’ont satisfait. Dès que j’ai un coup de téléphone de quelqu’un qui me dit « Est-ce que vous voulez bien faire un truc pour moi ? », je suis absolument ravi ! La commande, ça vous sort du doute. Oui, ça vous sort de l’angoisse… Je raconte souvent à mes élèves l’anecdote concernant Jean-Luc Godard et Le Mépris. J’aimerais vraiment croire que c’est vrai... Lorsque Godard a montré Le Mépris à son producteur Carlo Ponti, ce dernier lui aurait dit : « Jean-Luc, ton film est très bien, mais tu ne t’imagines tout de même que je te paie Brigitte Bardot, sans que tu montres son cul dans ton film ! » Godard rappelle Bardot et lui dit : « Il faut que tu reviennes ! Je dois filmer ton cul dans toutes les couleurs ! » Cette scène ouvre le film, elle est celle qu’on retient. Godard a su réinterpréter la critique et trouver la solution. Il faut être suffisamment libre pour introduire des choses positives, même si la contrainte est imposée. Peter Knapp illustrateur (dessins 1952-2016) jusqu’au 2 juillet au Musée Tomi Ungerer, à Strasbourg www.musees.strasbourg.eu À paraître Peter Knapp et Emmanuel Abela, Lot & ses filles, Chicmédias, Coll. Desseins