Magazine n°9 KRAEMER_MAGAZINE_09_pages-simples | Page 50

50 RENCONTRE Comment trouvez-vous le juste équilibre ? J’ai toujours voulu garder un pied dans le salon, donc sur le terrain, pour me rendre compte de l’évolution du temps. De toutes ces vraies “choses”, ces pratiques qui font que je ne crains pas de me retrouver en décalage. Je le constate malheureusement, le milieu professionnel est très souvent décalé par rapport aux besoins réels des gens. Je ne peux plus dire que je sois un grand adepte du milieu professionnel, alors que je l’ai été beaucoup. Les coiffeurs cherchent trop souvent à se faire plaisir, c’est un stade que j’ai le sentiment d’avoir dépassé. Quand nous avons trop longtemps interprété un personnage, nous ressentons le besoin de montrer que nous savons faire autre chose. Dans la coiffure, comme dans d’autres métiers, après avoir interprété une multitude de rôles différents, nous vivons de la même manière ce besoin de revenir à l’essence même du métier. Comment sait-on qu’on revient à l’es- sence même du métier ? C’est très simple, c’est quand on se pose la question de savoir si on est vraiment utile. Et ce, quelle que soit la circonstance, en salon, en studio ou ailleurs. On se met dans la position d’une forme d’obéissance par rapport à une demande précise. Si l’on met au service d’un couturier par exemple, on cherche à comprendre son envie, avant de la retranscrire avec notre propre sensibilité. On tente d’y apporter une touche personnelle. Naturellement, si c’est possible. Après, on ne se refait pas, on a chacun notre propre toucher de cheveu, nos idées de volume. Les approches varient, certains travaillent de manière plus rigide, d’autres au contraire de façon plus souple. Tout cela est lié aux traits de caractère de chacun. Ça a trait forcément à notre personnalité. “  Un simple geste peut tout changer.  ” Parlons justement de votre personnalité à vous. Les clients qui témoignent dans votre ouvrage évoquent un toucher de cheveu très singulier, un peu comme si vos doigts virevoltent à la surface des cheveux. Les gestes sont importants, ils doivent rester précis. Mais avant tout, il faut avoir un œil. Quand on exécute un geste, il faut en même temps observer ce que l’on fait, et savoir s’arrêter à temps. On sait que ce geste, on ne va pas le reproduire deux fois. Parfois, sans s’en rendre compte, le mouvement se passe bien, à ce moment-là il faut garder ce qui nous semble nécessaire parce qu’on sait qu’on ne va pas retrouver exactement ce mouvement-là. Tout cela est intime, cela dépend de la sensibilité de chacun. Tout le monde ne regarde pas de la même façon. De même, tout le monde n’écoute pas de la même manière non plus. Un simple geste, un détail, peut tout changer. Ce geste-là est déterminant, il fait que la coupe, au final, a de l’allure ou pas. Quelle que soit la manière, après tout, on cherche toujours une forme d’élégance. On a beau rajouter des accessoires dans la coiffure ou multiplier les formes, les couleurs et les produits, la base reste classique : un cheveu doit être éclatant, il doit être brillant. Automatiquement, il devient vivant. Et c’est ce qu’on recherche constamment : que le cheveu devienne vivant, qu’il acquiert une forme d’énergie. Un cheveu sain, en quelque sorte. Simplement. Vous semblez prôner une forme de retenue, alors qu’on vous connaît un goût pour une certaine forme de théâtralisation. Oui, par le passé effectivement, et en même temps je m’interroge toujours sur le résultat : qu’est-ce que cela va donner sur la durée ? Il est nécessaire que la coupe vieillisse bien. Si l’on prend des exemples d’images dans le livre rétros- pectif, le choix s’est porté sur des réali- sations qui ont traversé le temps. Pour certaines d’entre elles, on ne regarde pas vraiment les dates, et on ne sait pas trop à quel moment elles ont pu être faites, si elles sont d’hier ou d’aujourd’hui. Ça me permet de me dire que je travaille à travers le temps et que ma pratique évolue bien. Comment évolue-t-elle cette pratique ? Vous savez, on ne coiffe quasiment plus aujourd’hui. Vous me disiez « artiste du cheveu », je me sens plus « homme de cheveu », même plus que « coiffeur ». La société demande autre chose, et ça fait des années. L’objectif s’est déplacé, les besoins ne sont plus les mêmes. On le constate, la fréquentation des salons a beaucoup évolué. J’ai connu une époque où les femmes venaient toutes les semaines, aujourd’hui elles ne le font plus qu’une fois tous les mois dans le meilleur des cas. Si vous entreprenez une réalisation, en salon, quelque chose de simple et classique, il faut remplir un double objectif : que ça soit bien immédiatement, mais aussi bien dans la durée. Il faut que la coupe repousse bien, de même pour la couleur qui doit bien