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d’une créativité absolue. Ils s’appuient
pour cela visuellement sur l’émotion
plastique contenue chez certains artistes
avant d’apporter le résultat de ces
expériences vécues pour faire évoluer
nos collections. » Et de nous rappeler que
la peinture qu’il aime tant est le miroir
de nos sentiments. Sous-entendant ainsi
qu’il n’est pas loin de penser qu’il en
va de même pour la coiffure. « Le beau
n’est pas fonction d’une mode. Chaque
femme contient en elle-même une
beauté. Laquelle palpite, ne cherche
qu’à se manifester, s’extérioriser. C’est
cette beauté que nous devons déceler. Et
mettre en valeur. »
Manifestation subtile de l’évolution d’une
société, objet d’attention particulière, la
coiffure est peut-être l’un des signes de
la mode qui ait le plus évolué au cours
de ces dernières années. D’abord atout
de séduction dans sa nudité primitive,
la chevelure s’est peu à peu transformée
en signe extérieur d’appartenance : que
ça soit une manière d’être ou une pensée.
Marque à la fois de la norme et de sa
contestation, elle représente, identifie et
singularise la personne. Longs ou courts,
noirs, bruns, auburn, châtain, roux,
blonds, gris ou blancs, normés ou rebelles,
structurés ou déstructurés, peignés ou
détachés, dénoués, lisses, bouclés, frisés,
méchés, les cheveux disent ce que nous
sommes autant que notre façon de vivre
et de nous exprimer.
De la Vénus de Botticelli à Brigitte Bardot,
pour des chevelures chargées d’érotisme
ou de Louise Brooks à Coco Chanel, pion-
nières du cheveu court, et par là même,
d’une certaine émancipation féminine,
les exemples ne manquent pas pour dé-
montrer la variété des symboliques qu’on
accorde aux cheveux. Si la tête est le siège
de l’âme, la coiffure en est sa parure.
Rien d’innocent au fait que les ethnolo-
gues s’intéressent tant au cheveu, même
s’ils adoptent parfois une approche glo-
balisante par le biais du corps, des soins
ou de certains rituels. De plus en plus, ils
évitent de commettre l’erreur de situer la
coiffure comme un simple vêtement et par
là même de traiter la tête comme un sujet
à part. Ils l’intègrent de plus en plus et s’y
“ Le coiffeur
est un magicien
du beau ”
YANNICK KRAEMER
attachent avec une attention renforcée.
Le champ d’exploration à la fois ethnolo-
gique et historique s’ouvre avec des pers-
pectives parfois vertigineuses.
Yannick Kraemer l’admet, tout en
s’amusant de la situation qui fait qu’une
fois « qu’on a retiré les bijoux et les
vêtements, la coiffure reste la dernière
parure. » Une parure comme affirmation
de soi, véritable matière à sculpter qui
fait intimement partie du corps et en
cela atout majeur de séduction, à un
moment où les femmes, après avoir
acquis la liberté de vivre, se choisissent
elles-mêmes une destinée. « On ne leur
impose plus de stéréotype, nous confirme
Yannick, il n’est qu’à les regarder dans
la rue : tout leur est permis. Et c’est tant
mieux. Les femmes bougent. Tout comme
elles se sont débarrassées de certains de
leurs carcans vestimentaires au cours du
siècle dernier, elles se sont soustraites à
des coiffures laquées et figées dans des
codes qui leur étaient imposées par la
société. »
« Pour moi, insiste-t-il, la femme d’au-
jourd’hui affiche son désir de vivre pleine-
ment en conciliant quête de plaisir et prin-
cipe de réalité. Ce qui ne l’empêche pas de
chercher à surprendre à tout moment. »
Depuis quelques années, les collections
tentent de s’appuyer sur cette aspiration
à une forme d’hédonisme, en jouant sur
les formes, simples ou plus complexes,
afin de dévoiler une intuition double dans
l’instant : celle d’une cliente et de son coif-
feur. De la somme de ces intuitions ins-
pirantes naît une nouvelle féminité, entre
tradition et modernité, qui conduit au succès
des intentions les plus intimes.
La société actuelle privilégie la vitesse !
Aujourd’hui, l’on cultive une forme d’ins-
tantanéité avec l’idée qu’une chose valable
aujourd’hui ne le sera plus demain et du
coup on crée une culture du présent,
en occultant le passé, sans forcément
se préoccuper du futur. « À mon avis, il
faut aller à rebours de cela, parce que ce
mouvement permanent va à l’encontre de
notre propre humanité. Alors oui, il faut
aller de l’avant, toujours, mais au bon
rythme, en se préoccupant du bien-être
de chacun. » En cela, la coiffure n’échappe
pas à cette nouvelle réflexion qu’on ren-
contre dans le domaine de l’alimentation
par exemple. Les questions s’y posent de
la même manière : prend-on le temps de
s’adresser à la cliente, d’évaluer ses envies,
de lui soumettre des suggestions et de
répondre à ses attentes ? À toutes ces
questions, selon lui, la réponse doit être
un grand « oui » ! Ce qui ne l’empêche pas
de s’inscrire dans la tendance du moment,
quitte à influencer celle-ci.
Avec ses équipes au quotidien, Yannick
Kraemer nous livre sa vision très
personnelle de la relation qui le lie à ses
clientes, clé de toute sa stratégie : « Cela
va peut-être amuser, mais pour moi, cette
relation à la cliente s’apparente à une
relation amoureuse. » Relation platonique
– cela va sans dire –, mais relation pleine
et désirante qui conduit à la satisfaction.
Voire à une forme de plénitude. « Dans un
monde où les choses vont vite, poursuit-il,
les clientes aiment qu’on leur prodigue de
l’attention, qu’on les prenne en charge et
qu’on tienne compte de leur personnalité
propre. Elles aiment tout simplement que
leurs attentes légitimes soient satisfaites.
J’ai eu déjà eu l’occasion de le dire et je
le répète bien volontiers : rien ne me fait
plus plaisir que de voir une cliente sortir
d’un de mes salons, en se sentant belle et
heureuse. »