Magazine n°9 KRAEMER_MAGAZINE_09_pages-simples | Page 26

26 KRAEMER—30 ANS ENTRETIEN La dernière parure Par Emmanuel Abela Plus que jamais, la femme est libre. Elle veut se montrer en capacité de révéler les différents aspects d’une personnalité complexe. Changeante, mouvante, émouvante, elle livre des parts d’elle-même au gré de ses envies. L a coiffure, comme tous les arts, est porteuse d’humanité. Elle révèle la femme dans ce qu’elle est intimement. « Je me réjouis de constater que les femmes n’ont jamais eu autant envie d’être belles, et de plaire. Elles vivent notre époque dans la plus grande sérénité, nous explique Yannick Kraemer. En effet, dans ce monde de vir- tualisation à outrance où la généralisation de l’image lisse nos émotions, elles sont en recherche d’elles-mêmes. Un bon coif- feur se doit de les rassurer dans leur noble quête. » Du fait de sa longue expérience, il sait combien le cheveu est essentiel quant à l’identité de la personne. Il se situe dans une position capitale face à l’interroga- tion profonde qui rend la cliente vulné- rable. Elle a besoin d’être comprise et ras- surée, perçue dans ses attentes propres pour pouvoir s’en remettre pleinement entre les mains de son coiffeur. Elle vit un sentiment double dans la mesure où elle aimerait tant conserver quelque chose d’elle-même tout en laissant le coiffeur lui donner autre chose. Lui-même, dans sa relation à la cliente, peut hésiter parfois dans sa volonté de la conduire ailleurs. Il lui faut arriver à construire quelque chose de la rencontre et contourner cette ambi- valence qui naît de l’image que la cliente a d’elle-même et de l’image vers laquelle elle aimerait tendre. Cette autre elle- même à la fois réelle et fantasmée. Ce que Yannick Kraemer résume d’une très belle phrase : « Plus que jamais, les femmes ont envie d’être. » Elles sont en demande de changement. Mais ce changement ne doit pas trop perturber l’image qu’elles ont d’elles-mêmes, d’où un dosage extrême- ment délicat. Le coiffeur se doit d’avoir une maîtrise totale de son œil, en capacité de déceler le beau, en relation avec « une technique parfaite, assimilée, afin de libérer toute créativité. À la manière d’un pianiste qui oublie ses gammes, le coiffeur laisse libre cours à sa pleine sensibilité. » En fonction de la morphologie du visage, de la nature des cheveux, de l’allure de la cliente, de l’image qu’elle renvoie d’elle-même, il se doit de trouver la coupe adaptée. Celle- ci peut mettre en valeur des qualités insoupçonnées, parfois même transformer certains petits défauts en avantages dans la mesure où une coiffure conditionne le volume, quitte à renverser les proportions du visage. « Mon désir le plus cher, poursuit Yannick, est de sécuriser ces femmes prêtes à nous confier une partie de leur “moi” et qui nous laissent nous investir totalement avec elle dans leur envie d’être. » Il s’agit de les rassurer dans ce besoin, conscient ou inconscient, de transformation, d’évo- lution dans le cheminement sinueux qui les conduit, d’elle à elle. « Nous devons donner du rêve, mais pas seulement  : nous devons nous situer en interprètes des désirs profonds des femmes, afin, une fois qu’on les a cernées, de leur expliquer que la vraie beauté est intérieure.  » En cela, pour lui, le coiffeur est un « magicien du beau. » Avec le regard nourri de sa culture artistique, Yannick établit des liens entre ce qu’il situe dans l’évolution esthétique de son temps et la tendance qu’il cherche à révéler avec ses équipes. « Rien de bien nouveau, tempère-t-il, nous plongeons dans le passé de quoi alimenter notre réflexion.  » Se référant explicitement aux canons établis dans l’Antiquité ou au moment de la Renaissance italienne, il nous expose une vérité universelle  : «  Tout ce qui obéit aux lois naturelles de la beauté – harmonie, proportions et volumes  –, à quoi s’ajoute ce petit plus indéfinissable, cet indicible qui constitue la personnalité même de la femme, rien de tout cela ne se démodera jamais, car c’est l’essence même de la beauté.  » Bien sûr, l’innovation vient compléter ce qui fait partie d’un bagage esthétique global. C’est pourquoi il invite certains de ses collaborateurs à participer à des expériences formelles inédites, dans le cadre de shows à travers le monde entier. « Il ne faut pas les pousser beaucoup pour qu’ils aillent très loin dans l’expression