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La part
de rêve
Par Emmanuel Abela
Photos Thomas Gogny
À l’occasion des 30 ans du premier
salon de Yannick Kraemer à Strasbourg,
retour sur un parcours riche
en émotions.
L
a coiffure est toute sa vie.
Yannick Kraemer a grandi
dans le salon que son père
dirigeait à Hatten, près de
Wissembourg. Il était dit
qu’il serait coiffeur, qu’il
reprendrait le salon de son père, Yannick
ne s’est pas dérobé : il est entré en préap-
prentissage, puis en apprentissage. Avec
l’humilité qui le caractérise, il nie sa part
de destinée, mais les faits sont là : à l’âge
de 15 ans, il entame une riche carrière
dans la coiffure. Nous sommes en 1976.
De ses premières années passées sous la
responsabilité d’Alphonse Schalck, un
maître d’apprentissage bienveillant à son
égard, il apprend le goût du travail bien
fait, il aime fignoler, notamment quand
il prolonge ses longues journées en coif-
fant les « amies », puis les « amies de ses
amies », avant d’élargir le cercle à sa fa-
mille et à son entourage. Il s’attache aux
détails, et surtout cherche à répondre à
des demandes spécifiques.
L’histoire veut qu’il ait tenté d’échapper un
temps au métier, en rejoignant ses amis
qui gagnaient mieux leur vie en travaillant
dans la construction de l’autre côté de
la frontière, dans le Bade Würtemberg
voisin. L’anecdote amusante rapporte qu’il
se voit promu au chariot élévateur avec
la responsabilité d’un Fenwick – il se fait
railler par ses camarades qui le baptisent
le « Koenig der Staplefahrer », le roi des
conducteurs de Fenwick. Il obtient cette
promotion non seulement parce qu’il se
montre excellent à la manœuvre, mais
aussi parce qu’il est devenu le coiffeur
attitré du patron et de ses contremaîtres…
Fin juillet 1981, il est libéré de son service
militaire qu’il a effectué chez les para-
chutistes à Montauban. Il y a vécu son
baptême de l’air. « La première fois que
j’ai pris l’avion, c’était pour sauter en
parachute ! », se souvient-il, amusé.
Yannick retourne chez lui, en Alsace,
avec cette fois la ferme intention de se
consacrer pleinement à la coiffure. Son
père aurait pu l’encourager au sein de
l’entreprise familiale, mais il exprime de
l’ambition pour son fils. Il l’encourage à
parfaire sa formation à Strasbourg et à
Paris. Cette vision, Yannick la partage
avec lui. « À mon retour, mon ambition je
la sens présente en moi ! », nous affirme-
t-il avec fermeté. Il voit grand pour l’en-
treprise dans son village ; il voit au-delà.
« J’ai déjà des idées précises de ce que je
veux pour le salon familial : je pense à un
temple de la beauté au service du plaisir
de la femme, avec un hammam, des
massages, des séances de bronzage ou
d’esthétique... » En homme de conviction,
son père reste ferme. Avec pragmatisme,
il le convainc qu’il pourra réaliser tous
ses rêves, mais une fois l’expérience ac-
quise. De plus, il exprime lui-même une
nouvelle vision de la coiffure ; il sait que
l’avènement des franchises en France
représente un tournant décisif dans le
métier. C’est pourquoi il indique ce qui
lui semble être une voie d’avenir à son
fils. En octobre 1981, un représentant de
chez L’Oréal, M. Balsamo, trouve à Yannick
du travail chez Jacques Dessange à Stras-
bourg en tant qu’assistant coiffeur auprès
de Antoine Hubert dit Tony, star et pré-
curseur de la coiffure à l’époque – « l’un
des tout premiers à comprendre l’enjeu
de la franchise en France ! » –, à l’occasion
de l’ouverture de son deuxième salon, rue
du Vieux Marché aux Vins à Strasbourg.
Bon nombre de clients d’aujourd’hui se
souviennent encore de Yannick, ce jeune
coiffeur talentueux qui devient rapide-
ment la coqueluche de ses dames.
Dès ses débuts, Yannick vit une période
formatrice et structurante. Tony lui
donne sa chance. Lui, en retour livre un
travail acharné. « Je savais travailler,
dit Yannick avec fermeté, je maîtrisais
mon métier ! Et surtout, j’aimais ce
métier. » En tant qu’assistant, il n’a pas
encore de clientèle attitrée, mais il se la
construit progressivement dans un salon
qui comptabilisait près de deux cents