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A l ’ origine , il y a un fond . Un décor des années folles comme on en trouvait dans les studios de photographes des années 20 où les belles et les familles du siècle dernier posaient dans leurs plus beaux atours pour immortaliser les grands moments de leur existence . Son décor appartenait à Adamo , un photographe italien de l ’ époque qui avait son studio du côté de la rue des glacières . Il appartenait à Adamo , un photographe italien disparu depuis longtemps . « Je travaille sur une pièce de musée » affirmet-elle , « avec l ’ idée d ’ en faire un livre . Les vrais livres d ’ art de photographie n ’ existent pas encore en Tunisie . Personne n ’ y pense ». C ’ est ainsi qu ’ est née la série Mon Tunis où des personnages se mettent en scène devant le même fond , seul le décor change en fonction des personnalités que Faten choisit suivant l ’ inspiration du moment . Neuf œuvres sont actuellement exposées sur les quais de Seine , face au musée Branly , dans le cadre de l ’ exposition « Photoquai » ( jusqu ’ au 22 novembre ). « Mon Tunis est un patchwork de la société tunisienne , une comédie humaine qui est le résultat de rencontres avec le sujet . Elles peuvent être marquées par l ’ intelligence ou la bêtise , mais elles ne sont jamais ordinaires », souligne Faten Gaddes .
Le studio-photo est devenu ambulant . L ’ été dernier , Faten Gaddes l ’ a transporté dans la médina de Tunis . « Un magnifique exercice d ’ humanité . J ’ ai été dans les quartiers les plus chauds : Café Ali Bouna à Bab Jedid , rue El Marr , Souk El Asr , la Kherba ; et pendant un mois j ’ ai vécu avec ces gens qui ont accepté de travailler avec moi sur la mise en scène et de poser . Je les ai même poussés à regarder dans le cadre » raconte-t-elle les yeux pétillants . Cette suite de « Mon Tunis » sera présentée à partir du 4 novembre dans le cadre de Dream City , la biennale qui ouvre la médina aux artistes . Les photos seront accompagnées d ’ un making off réalisé par deux jeunes novices choisis par la photographe .
Nostalgie du passé A 41 ans , Faten Gaddes , qui avait commencé sa carrière dans l ’ architecture d ’ intérieur , doit la révélation de sa vocation à un de ses premiers patrons qui avait décelé en elle des aptitudes à la photographie artistique . « Pendant trois ans , au milieu des années 90 , j ’ ai repris les études à l ’ Ecole d ’ art et de décoration où Anouar Ben Aïssa , qui a été photographe de plateau sur les films de Franco Zefirelli et de Roman Polanski , m ’ a prise sous son aile . » « J ’ ai le sentiment de m ’ être trompée d ’ époque car je suis très attachée à la mémoire de mon pays et j ’ aime travailler sur les choses du passé comme si j ’ essayais de le rattraper . Ainsi , ma première série , « Koutebs » a été exposée en 1998 durant le mois de la photo – la seule manifestation photographique à l ’ époque qui avait vécu le temps de trois éditions . Sauf qu ’ il n ’ y en avait pratiquement plus » explique-t-elle . Mais Faten Gaddes tenait à ressusciter ces écoles coraniques où les gamins ânonnaient les versets du Coran écrits sur des tablettes en bois . « En Tunisie , le photographe n ’ a pas de statut et il est donc très difficile d ’ obtenir des autorisations . Grâce à un gars de la médina qui m ’ a introduite auprès du Omda de la rue du Pacha , j ’ ai pu rassembler des enfants qui ont posé dans la mosquée d ’ à côté . »
Faten Gaddes a également une affection particulière pour les monuments délabrés et le patrimoine industriel . « Lorsque j ’ ai appris que la vieille centrale électrique de la Goulette allait être démolie , j ’ ai tout de suite éprouvé le besoin de l ’ immortaliser . Cette centrale faisait partie de mon enfance , on passait devant chaque fois que nous nous rendions à la plage dans la banlieue nord . La centrale avait été vendue à Sakhr El Materi , le gendre de Ben Ali , qui avait confié à trois ferronniers le soin de la désosser . J ’ ai passé trois mois à photographier la démolition de cette centrale qui aurait fait un magnifique musée d ’ art moderne . C ’ est devenu un terrain vague et un showroom Porsche ». Cette série « Les Temps Modernes » qu ’ elle a montré pour la première fois à la Galerie Ammar Farhat en 2010 sera au MuCEM de Marseille à partir du 3 novembre , dans le cadre de « Traces … Fragments d ’ une Tunisie contemporaine ».
Le tumulte de la « révolution » « Après 2011 , dans une manifestation sur la laïcité , j ’ ai été interpellée sur mon identité -on me prenait pour une étrangèreet c ’ est pourquoi j ’ ai éprouvé le besoin de me mettre en scène » se souvient Faten Gaddes . Il s ’ agit des fameux « Punchingball » où sa photo était déclinée en musulmane , chrétienne , juive , Phénicienne pas du tout du goût des salafistes qui ont saccagé les œuvres du Printemps des Arts au palais El Abdellia en juin 2012 . Un journal arabophone avait publié ces photos en Une , avec l ’ adresse de Faten Gaddes : « Une incitation au meurtre » se souvient-elle , « mais j ’ ai eu une excellente réaction : je n ’ ai pas réagi , j ’ ai fait la morte , j ’ ai laissé passer , j ’ étais dans une forme de dépression inavouée … » Depuis 2012 , Faten Gaddes n ’ a plus exposé en Tunisie . Elle s ’ est concentrée sur son travail , sur cette volonté de restituer le patchwork de la société tunisienne .
New York , New York Et puis , il y a eu la traversée de l ’ Atlantique . Elle est partie pour New York où elle a vécu neuf mois , le temps d ’ une gestation , entre le New Jersey et les Brooklyn Heights . « J ’ ai été fascinée par la curiosité des gens envers mon travail . Une curiosité que je n ’ avais pas rencontrée ailleurs . Les américains ne sont pas dans le jugement , l ’ essentiel pour eux est d ’ avancer » souligne Faten Gaddes . Sans avoir appris un mot d ’ anglais , Faten Gaddes s ’ est « vendue » à l ’ américaine , « j ’ ai fait ma propre promotion au point que je parlais tout le temps de moi à la troisième personne ». Elle a séduit les américains grâce à la veine orientaliste de la série « In the past » exposée à la Jadite Gallery , à Central Park South . « Plus de 150 personnes sont venues au vernissage , c ’ était extraordinaire ! Je retourne à New York fin novembre pour préparer la même exposition , mais en plus développée , au siège des Nations Unies ». « A mon retour en Tunisie , j ’ ai constaté que rien n ’ avait changé . C ’ est ta propre vision qui change mais la société s ’ enferre dans l ’ autocritique » conclut Faten Gaddes . L ’ ensemble de la série « Mon Tunis », personnages de la société tunisoise et figures de la médina , sera enfin à l ’ honneur à partir du 26 novembre à la galerie Musk & Amber . En attendant , le livre de photographies …
Farida Ayari
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