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Dossier
cela peut éveiller des pulsions homosexuelles chez la laveuse comme chez la cliente . C ’ est pour cette raison qu ’ avant on interdisait la fréquentation du bain public aux femmes sans raison valable , à savoir : les ablutions « woudhou », ou le bain de purification « ghusl ». La harza est demeurée longtemps dénigrée par la société . Pratiquant un métier en contact avec la saleté et passant le plus clair de son temps dans un milieu chaud et humide favorable à la contamination , connaissant les secrets des unes et des autres , elle avait mauvaise réputation et on finissait par oublier que sa mission première était d ’ aider à la purification des corps .
Quant au regard qu ’ a la société sur la laveuse mortuaire , il revêt une autre signification . C ’ est un regard plein d ’ angoisse , de peur , d ’ interrogations sur le comment et le pourquoi de ce métier qui est en contact permanent avec la mort et les morts . Mais elle porte son regard non pas sur le corps , mais plutôt sur la façon de le laver , de l ’ envelopper dans le linceul et ce , conformément aux rituels de la religion .
Rapport à la vie / à la mort : En évoquant ces deux métiers , on ne peut s ’ abstenir de parler de leur rapport à la vie et à la mort : Les femmes laveuses au bain maure côtoient la vie avec les hammams de mariage , le bain de purification que les femmes font après la menstruation et après l ’ accouchement (« Nfes ») ainsi que pour les femmes pratiquantes , après les rapports sexuels .
Concernant les femmes laveuses mortuaires , la mort est toujours au rendez-vous . Avec le rituel du lavage , ces femmes montrent indirectement qu ’ elles valorisent la mort et rendent ce corps sacré , un corps qui doit être purifié afin de pouvoir rencontrer son créateur , comme il se doit , selon les préceptes de l ’ islam .
Religion et mort / religion et purification : Avant , les femmes ne devaient se rendre au bain public que pour : - Se laver après la période des menstrues . - Se laver après l ’ accouchement . - Parce qu ’ il faisait trop froid pour se laver à domicile . - Parce qu ’ on ne pouvait pas réchauffer l ’ eau à domicile . - Après une impureté majeure suite aux rapports sexuels « janaba », mais nombreuses sont les femmes qui sont trop pudiques pour aller au bain à tout instant car cela reviendrait à dévoiler leur vie sexuelle .
Il y a là un rapport étroit entre religion et purification , auquel on ne donne plus beaucoup d ’ importance de nos jours .
Par contre , et cela demeure inchangé , la première chose faite pour le défunt c ’ est le lavage de son corps , sa purification , parce qu ’ il va rencontrer Dieu et qu ’ il doit être prêt et propre dans son corps .
Rania Klibi Psychologue clinicienne , psychothérapeute , sexologue
Avis de la psychologue
Il n ’ est pas facile d ’ émettre un avis sur ces métiers que la société dénigre parce qu ’ ils renvoient à la saleté , à la maladie et à la mort . Ces préjugés se sont inscrits dans notre inconscient à travers le temps et à travers ce qu ’ on entend sur ces femmes comme par exemple : «
» ( la harza a la langue bien pendue ) et sa réputation est également ternie par le fait qu ’ elle épile les femmes et leur fait des tatouages , chose qui touche à l ’ intimité et à des pratiques non encore acceptées par la société qui se dit pourtant ouverte et moderne .
Pour la laveuse de morts , être toujours en contact avec la mort , qui est un sujet tabou et source d ’ angoisse , peut raviver la peur de la mort , la pulsion de mort , le thanatos , et il est tout à fait normal d ’ avoir peur parce qu ’ il s ’ agit de l ’ instinct de conservation . La plupart des gens évitent tout contact avec les laveuses de morts . Il faut aussi relever le fait que les femmes qui font ces métiers présentent un profil particulier : elles sont généralement analphabètes et issues d ’ un milieu défavorisé , ont une forte personnalité et sont très proches de la religion .
Ces deux métiers peuvent être considérés comme ingrats car nous occultons leur valeur et ne prenons pas le temps de nous interroger sur ces femmes qui les exercent , ni sur leur ressenti . Il est probable que la société ne s ’ attache pas à valoriser ces métiers car ils touchent au sacré , au tabou , à la mort , au corps , à la religion .
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