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Jeux de rôles , cours d ’ arabe et théâtre Curieuse de savoir comment on plonge dans l ’ univers du théâtre à vingt ans dans les années 70 , je lui demande de nous raconter ses débuts , ou comment sa passion a démarré . « Personne ne sait comment ça commence », me lance-elle . Ce qui est certain , c ’ est que Fatma aime jouer depuis la petite enfance . Elle s ’ amuse à faire des jeux de rôles avec ses cousins et cousines et plus tard , elle suit les cours de théâtre scolaire . Mais ce n ’ est pas pour autant qu ’ elle s ’ oriente vers ça une fois le baccalauréat en poche . Celle qui se voyait devenir avocate , finit par étudier la langue arabe à l ’ université . « Mais je n ’ ai pas réellement accroché . Je ne me voyais pas plus tard faire mes 8 heures au bureau . Alors j ’ ai passé un concours de réorientation et me suis retrouvée à l ’ école d ’ art dramatique . Et depuis , je n ’ ai plus quitté les planches . » Passionnée par l ’ énergie et la magie du théâtre , Fatma Ben Saïdane enchaîne les formations et les stages . En 1974 , elle rejoint l ’ Ecole de Théâtre Tania Balachova à Paris , puis elle intègre le Théâtre Arabe de l ’ immigration El Meddah la même année . Par la suite ce sera la troupe « El Fathaa » de Hamadi Mezzi à Tunis et le théâtre pour enfants avec Mokhtar Louzir ou encore le théâtre scolaire éducatif . Elle poursuit même un stage de mime avec Laura Sheppard à Boston .
Le nouveau théâtre Le grand tournant de sa carrière est incontestablement son intégration à la troupe « Le nouveau théâtre » ( Al Masrah Al Jadid ) fondé par Fadhel Jaibi et Fadhel Jaziri . Plus tard , lorsque les deux Fadhel se séparent , Jaibi fondera « Familia Production » dont Fatma fait partie . C ’ est là qu ’ elle trouve son univers , c ’ est là qu ’ elle s ’ exprime le mieux , c ’ est là que son corps et sa voix exultent . C ’ est ce théâtre qu ’ elle veut faire et c ’ est ce qu ’ elle a pensé après avoir vu « Tahkik ». Le hasard fera qu ’ elle soit approchée par Fadhel Jaibi pour intégrer l ’ équipe . Et depuis , ils ne se quittent plus . Pourquoi ce théâtre et pas un autre ? « Je ne me vois pas ailleurs . Je pense qu ’ il y a le théâtre tunisien actuel et le théâtre de Fadhel Jaibi . Avec “ Familia Production “, nous partageons le même rêve , nous avons la même vision du travail , la même passion . Il n ’ y a pas d ’ arnaques . » Pour décrire ce théâtre , Fatma Ben Saïdane reprend les mots de Jaibi , le descriptif et le slogan qui le définit : « Le théâtre maintenant et ici » dit-elle ; « car nous parlons de la Tunisie et rien d ’ autre . De ce qui se passe en nous , avec nous . Nous parlons de la violence dans notre dernière pièce . Mais nous parlons de cette violence chez le Tunisien depuis “ Arab “ par exemple . » Une chose est sûre , le théâtre choisi par Fatma est universel . En témoignent les succès répétitifs des représentations à l ’ étranger . Que ce soit à Beyrouth ou à Paris , les problématiques sont les mêmes pour l ’ humain . « Nous parlons des problèmes de couple , de ceux des étudiants , de l ’ identité , de l ’ art , etc . Nous ne travaillons pas sur un texte mais sur des personnes et des personnages . » Dans « Violences », les comédiens jouent leur propre personnage . Ils se mettent à nu et dénoncent la violence qu ’ il y a en chacun de nous et qu ’ il faut maîtriser . L ’ exception théâtrale Cependant « Violences » n ’ est que le dernier né de la production . Avec « Familia Production », Fatma Ben Saïdane jouera une dizaine de pièces : Arab , Familia , Les amoureux du café désert , Soirée Particulière , Junun , Khamsou , Yahiya Yaiche , et Tsunami . Elle fera une exception en acceptant de jouer dans « Plateau », une pièce signée Ghazi Zaghbeni . « Quand Ghazi m ’ a demandé de faire partie de l ’ équipe de “ Plateau “, j ’ ai dit oui car je connaissais le niveau et le sérieux du travail de ce jeune metteur en scène . Il fallait juste que je ne sois pas prise avec “ Familia Prod “ sur un travail . Ce qui était génial , c ’ est que les deux pièces “ Violences “ et “ Plateau “ sont produites par le théâtre national dirigé par Fadhel Jaibi . »
Avec l ' équipe de Femmes de Tunisie
Et le cinéma ? Si Fatma Ben Saïdane est plutôt fidèle au théâtre , elle se lâche plus au cinéma , en enchaînant les différents rôles et en misant sur les jeunes . Durant sa longue carrière , elle jouera dans de nombreux films tunisiens . « Les classiques , ceux des amis , comme Ferid Boughedir , Ibrahim Ltaief , Moncef Dhouib , Salma Baccar mais aussi les derniers de Mokhtar Lajimi , Sonia Chamkhi ou encore Mohamed Dammak et Mehdi Hmili . Mais il m ’ est arrivé de refuser des films même si j ’ ai du mal à le faire . Souvent parce que le rôle qu ’ on me proposait ne m ’ apportait rien , que j ’ avais déjà joué le même genre . » Au cinéma , l ’ artiste essaie de trouver un équilibre . Ses multiples choix , basés souvent sur du feeling et de la confiance , ne l ’ empêchent pas de faire quelques faux pas . « Parfois l ’ idée , aussi bonne soit-elle , reste dans l ’ esprit du réalisateur », se défend-elle . « Je marche beaucoup au feeling . Après , il y a le travail aussi qui m ’ intéresse . Je joue actuellement dans le prochain film de Salma Baccar . J ’ ai été attirée par le personnage de la « Jeyda » de Dar Joued . Cet univers m ’ interpelle . La complexité du personnage aussi , qui malgré sa froideur et sa dureté a ses moments de faiblesse . Ce film parle de nous , des femmes , et de la Tunisie des années 50 et cette maison qui punissait les femmes désobéissantes . » Dans ce film à paraître , Fatma côtoie de jeunes comédiennes : Souhir Amara , Najoua Zouhir , Aïcha Ben Ahmed , etc . Une nouvelle génération d ’ artistes . « J ’ aime ces jeunes et leur fougue . Ils ont l ’ angoisse du travail bien fait . Ils sont sérieux . Ça nous permet un bel échange . Je leur demande leur avis et je leur donne mes conseils . Après tout , nous travaillons sur un même projet . Le succès est un travail collectif . »
Théâtre vs Cinéma « Je me vois plutôt comme une femme de planches . Le théâtre est mon espace de liberté . C ’ est là que tu es responsable de ton personnage . Au théâtre , et contrairement au cinéma où l ’ on est confiné dans un cadre et un texte , on sait par où commencer mais on ne sait pas comment le personnage va évoluer . Sur scène , je fais beaucoup d ’ improvisation . Je suis de ces comédiennes qui ne suivent pas un texte précis . Je rajoute des choses . Au théâtre , je crée et interprète des personnages , au cinéma j ’ interprète un rôle . » Fatma Ben Saïdane vit et évolue sur les planches des salles de théâtre . « Je n ’ ai ni Facebook , ni mail , ni télé . Je vis bien sans . Je me vois mal critiquer un travail sur Facebook . Je trouve ça lâche . Lorsque je vais voir un spectacle , je vais voir l ’ auteur pour le remercier pour son effort avant toute chose . Et si j ’ ai une critique qui fait avancer son travail , je l ’ exprime et l ’ explique . Je ne me donne pas le droit d ’ insulter le travail des autres . »
Woh L ’ actualité ? En plus du film de Salma Baccar , Fatma est sur un nouveau projet de film à paraître bientôt . « Woh » est une nouvelle expérience avec son amie Ismahane Lahmar . Nous la retrouverons aux côtés de Hichem Rostom , Slah Msadek , Sonia Ben Jemaa , Jamila Chihi , Sami Temimi , Sana Zine , Mohamed Mrad , Mariem Ben Chaabane , Hamdi Hadda , Naima El Jeni , Nedia Boussetta & Kafon ! Un film qu ’ on peut encourager avec un jeu sms pour gagner 10 000 dinars . Les comédiens vont être payés par ces sms . « C ’ est un film qui s ’ est fait avec un petit budget sur 3 semaines . L ’ idée est bonne . Maintenant , ça passe ou ça casse . »
Fatma Ben Saïdane aime se lancer dans de nouvelles expériences , particulièrement avec les jeunes . Et pour le coup , elle n ’ a nullement besoin de Facebook pour être populaire auprès d ’ eux .
Raouia Kheder
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