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dossier Interviews Les agriculteurs vendent leur récolte pas encore mûre pour éviter la pourriture. Tarek Chiboub, directeur général de la protection et du contrôle de la qualité des produits agricoles au sein du ministère de l’Agriculture, estime que les problèmes de malbouffe en Tunisie sont liés aux méthodes de récolte et de distribution. Explications. Femmes de Tunisie: La qualité des produits que nous consommons quotidiennement est-elle moins bonne qu’avant? Tarek Chiboub: Non, la qualité de nos produits n’a pas diminué. Bien au contraire, on trouve de nos jours une variété de produits de très haute qualité. Pourtant, les produits que l’on trouve sur les étals des marchés ne semblent pas toujours de bonne qualité… Faute de main-d’œuvre, l’agriculteur se trouve souvent contraint de faire sa récolte tout seul. Du coup, il ne fait pas le tri. C’est ce qu’on appelle la «récolte groupée.» Il transporte donc la marchandise jusque dans les marchés, sans séparer les déchets. Les prix ont également une influence sur la qualité des produits disponibles. Prenons l’exemple de la tomate, qui illustre parfaitement le problème de l’industrialisation des produits agricoles… Ce sont les industriels qui achètent leur récolte aux agriculteurs. Ces derniers, lorsqu’ils estiment que le prix de la tomate est assez élevé dans les marchés, vendent leurs produits de qualité aux consommateurs et fournissent les fruits de deuxième choix aux industriels. La Tunisie semble produire de bons fruits et légumes. Mais ceuxci ne profitent pas au marché tunisien… Effectivement, c’est le cas par exemple de la pomme de terre. De nombreux agriculteurs signent des contrats de production pour l’export. Ils laissent, bien évidemment, le deuxième choix pour le marché local. En décembre, par exemple, la demande est plus forte que le reste de l’année et le prix de ce produit est en hausse. L’agriculteur récolte alors les pommes de terre avant qu’elles ne soient mûres et les vend au marché local tunisien. Dans plusieurs pays comme la France, la grande distribution est pointée du doigt parce qu’elle participe à cette baisse de qualité des produits issus de l’agriculture. Est-ce aussi le cas en Tunisie? Oui, il existe en Tunisie un problème lié à la distribution: les agriculteurs sont contraints de vendre leur récolte, qui n’est pas encore mûre, pour éviter les risques de pourriture lors du transport vers les supermarchés ou les grands marchés. Auparavant, chaque agriculteur vendait sa récolte au petit marché local, ce qui ne donnait lieu à aucun problème de conservation. Aujourd’hui, le système de distribution a changé… Que pense-t-on, au sein de votre ministère, de ces questions de qualité des produits? Il y a un problème dont nous n’avons pas encore parlé, celui du contrôle. L’Etat, notamment dans cette période d’anarchie et de troubles, se trouve bien incapable de contrôler et de sanctionner les fraudeurs. Il est du rôle de l’Etat de garantir aux Tunisiens d es produits de consommation de qualité. Ce sont les besoins du consommateur qui ont changé. Pour Abdelaziz Staali, président de l’Union locale des agriculteurs de Ras Jebel, la qualité des produits n’a pas changé ces dernières années. Femmes de Tunisie a demandé à ce représentant de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche de nous donner son avis sur la malbouffe en Tunisie et sur la qualité des aliments. 36 «Tout d’abord, il ne faut  pas confondre qualité et variétés. La qualité des produits alimentaires est toujours la même: les légumes sont toujours des légumes et les fruits sont toujours des fruits. Mais le consommateur a changé. Ou plutôt, ce sont ses besoins qui ont changé. Auparavant, on récoltait les tomates, les piments et d’autres types de légumes pendant des saisons bien précises de l’année. Mais voilà, au- jourd’hui, le Tunisien exige de trouver tous les produits tout au long de l’année. On a donc eu recours aux fruits et légumes conventionnels [l’agriculture conventionnelle a recours aux intrants chimiques de synthèse (engrais, pesticides, hormones), NDLR]. Ceci offre une meilleure productivité aux agriculteurs et a un coût de revient moins important. Mais, bien évidemment, la qualité baisse.»