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En couverture Jimmy Choo Wicem Dakhlaoui 4 1 Cet été 2017, la Tunisie a confirmé sa place d'avant-gardiste dans le monde arabe avec le vote de la loi intégrale contre les violences faites aux femmes et l'abrogation de la circulaire qui interdisait le mariage d'une Tunisienne avec un non-musulman. Si nous ne pouvons que nous féliciter de ces avancées notables, il n'en demeure pas moins que les femmes restent encore victimes de discriminations dans de nombreux domaines et qu'une réforme des articles et dispositions du CSP, qui demeurent en décalage avec l'évolution de la société tunisienne, s'impose pour que les articles 21 et 46 de la constitution promulguée le 26 janvier 2014, soient respectés. C'est l'objet de notre dossier du mois. Par ailleurs, si une réforme est également impérative, c'est bien celle de l'administration tunisienne dont la lenteur et la complexité des services accablent aussi bien les particuliers que les entreprises. Il est 8h30 et je me rends à une administration située à Tunis où je dois déposer un document au vu duquel on est censé me remettre un reçu. Je prends un ticket d'attente à l'escargot fixé au mur puis au bout d'une demi-heure, mon numéro s'affiche et me voilà devant une préposée avenante et aimable qui m'annonce qu'il me manque un extrait de naissance pour accomplir les formalités nécessaires. Inutile de préciser que j'ai tout de suite pensé à la vidéo "arjaa ghodwa" qui circule en ce moment sur la toile. Comme j'aurais aimé imprimer l'extrait sur place! Devant ma mine déconfite, elle m'indique gentiment que je pourrais le retirer dans une municipalité située à moins de 100 mètres de là. Je m'y rends illico presto et y découvre une foule vraiment effrayante. Certaines personnes étaient même assises à l'extérieur sur les marches de l'entrée attendant l'annonce de leur numéro. Armée de courage, je retire un ticket et là, je m'aperçois qu'il y a 85 personnes avant moi. Je m'efforce de positiver et me dis que ça va aller vite, une demi-heure d'attente à tout casser, allez trois quarts d'heure, mais ... un seul guichet était affecté à cette tâche. 9h30, 10h30 et encore au moins 60 personnes. Déterminée à avoir mon papier avant la fin de la matinée, je sors de là, monte dans ma voiture et direction une autre municipalité, située à plus de 10 kms où par chance, je retire mon extrait en 5 minutes chrono. Je reprends la route vers Tunis et par curiosité, je m'arrête devant celle où j'étais et mon tour, croyez-moi, était encore loin d'être arrivé. De retour à la case départ, j'attends encore 1 heure avant de récupérer mon reçu. Je laisse passer la pause- déjeuner et à 14h, je me pointe avec mon fameux papier au ministère concerné. Re-ticket, re-attente mais personne derrière les guichets. 15h, 16h et enfin... victoire! L'opération est terminée. Conclusion, une journée de perdue pour une simple formalité! Pourtant en 2016, le “Smart Gov 2020” prévoyait de digitaliser l’administration tunisienne à travers l’e-service avec un objectif de “zéro papier” en 2020 pour supprimer la complexité et la lenteur des procédures administratives actuelles et offrir des services accessibles, simples et performants aux citoyens. Ce projet est-il en train d'être mis en place? Nous attendrons 2020 pour le savoir. D'ici là, des milliers de citoyens continueront à prendre des jours de congé pour poireauter dans une quelconque administration, un numéro à la main en priant que leurs papiers soient au complet et que les préposés soient à leur guichet. Sinon... pas de problèmes, ils reviendront le lendemain. Ce petit bout de papier a vraiment fait de mon lundi une journée particulière qui m'a rappelée le film éponyme d'Ettore Scola sauf que je n'étais pas Sophia Loren et que je n'avais pas à mes côtés Marcello Mastroianni pour m'aider à occulter ce que j'étais en train de vivre : le sentiment d'être emprisonnée dans l'insupportable carcan, non pas fasciste de l'Italie de 1938 mais administratif de la Tunisie de 2017. 15