FdT Dec 2015 | Page 52

HOMME du mois
Qu ’ est ce qui t ’ a alors fait basculer dans le cinéma ? Un beau jour , on a fait appel à moi pour le rôle d ’ un danseur de rue dans le film Making of de Nouri Bouzid . Ce dernier venait souvent nous voir pour apprendre le vocabulaire des danseurs de rue . C ’ était la première fois que j ’ assistais à un tournage . Je me rappelle que cette année-là , ayant redoublé ma 5ème année secondaire , je me préparais à arrêter les études et à me consacrer à la danse . Mais cette expérience cinématographique a tout chamboulé dans ma vie . Du jour au lendemain , je voulais reprendre mes études , avoir mon bac et faire des études de cinéma .
Et ?... Et cela s ’ est fait . A la faculté , j ’ ai eu Nouri Bouzid comme professeur . Et bien d ’ autres géants du domaine : Lotfi Dziri , Ibrahim Ltaief , etc . Durant 3 ans , j ’ ai beaucoup appris . J ’ avoue que c ’ était très difficile au départ , car mon bagage et ma culture n ’ étaient pas très développés . Quand les autres étudiants parlaient de Hitchkock ou de Tarentino , moi j ’ étais largué et me posais des questions sur ce que je faisais là . Mais j ’ ai essayé d ’ apprendre , de bouquiner , de regarder des films , de retenir les noms des réalisateurs … jusqu ’ à ce que je me découvre premier de la classe . Et là je me suis dit : « Il y a quelque chose et une énergie que je peux développer efficacement . »
A aucun moment , tu n ’ as cherché à partir ailleurs une fois le diplôme en poche ? Je suis allé à Paris . Mais c ’ était plus pour suivre une histoire d ’ amour que pour un objectif purement professionnel . J ’ ai tout de même réussi à travailler comme compositeur dans une boite de prod ( Thomas and co ). J ’ ai commencé à grimper petit à petit les échelons , mais je me suis vite ennuyé . Quand je suis rentré en vacances après quelques mois , je ne suis plus jamais retourné en France .
Et l ’ histoire d ’ amour alors ? M . S : [ rires ] J ’ avais rompu tout simplement . A Tunis , j ’ étais un peu paumé . J ’ étais supposé être un réalisateur mais il était presque impossible d ’ engager un jeune réalisateur de 23 ans . C ’ est là que je me suis décidé à monter ma propre boîte de production . Je suis parti de rien , avec peu de moyens – je dirais même aucun moyen : pas de siège social , pas de matériel , pas de sous . J ’ ai frappé aux portes et j ’ ai réussi à décrocher mon premier projet . C ’ était pour un événement pour Magasin Général . J ’ ai gagné 300 dinars . J ’ ai ensuite enchaîné avec d ’ autres events , jusqu ’ à ce que j ’ obtienne mon premier vrai contrat d ’ un an avec Orange pour sa com interne . J ’ ai enfin pu élargir l ’ équipe et louer un siège pour ma boîte .
Et le cinéma dans tout ça ? Pas très loin . Car après avoir fait beaucoup de pub , j ’ ai décidé de me lancer dans le cinéma . Avec « Fausse note », j ’ ai pris des risques et j ’ ai beaucoup investi . J ’ ai aussi réussi à convaincre de grandes têtes d ’ affiches comme Dhafer Abidine ou Lotfi Dziri de travailler avec ‘ un petit jeune ’.
Ça fait quoi de diriger son prof de direction d ’ acteur ? C ’ était très spécial . Mais j ’ ai appris une chose dans ce métier : peu importe ton statut et la personne en face de toi , quand tu es sur le plateau de tournage , vous êtes tous les deux au même niveau . Sur le plateau , il faut faire son métier . Au final , « Fausse note » a fait 33 000 entrées en Tunisie . Ce qui est bien pour le pays , mais j ’ étais quand même déçu parce que je pensais pouvoir gagner de l ’ argent à travers le cinéma . Mais j ’ ai passé un an à rembourser mes dettes pour ce film . Il me fallait créer un projet pour pouvoir vivre dignement . Et c ’ est là que m ’ est venue l ’ idée de créer la sitcom Happy Ness . Et le concept a bien marché . Il y a eu Happy Ness 2 , puis Tala3 Habet . Le bon coté , c ’ est que la boîte marchait . On avait réussi à enchaîner 3 productions ramadanesques en une année . Mais je voulais quand même créer quelque chose de nouveau , d ’ original . L ’ année d ’ après , il me fallait autre chose que les couleurs flashy et les textes courts que toutes les autres productions copiaient déjà . La suite a donné « Bolice ».
De belles créations à votre actif . Quelles critiques vous vous êtes fait depuis le démarrage de votre carrière télévisuelle ? Je pense que jusque-là , mes œuvres ont manqué d ’ émotion . Je suis très technique et à un moment donné de ma carrière , j ’ ai compris qu ’ il fallait d ’ autres ingrédients pour réussir . J ’ ai travaillé sur l ’ émotion et ça a donné Lilet Chak . En Jordanie , alors que j ’ étais en formation avec Dhafer Abidine , j ’ ai appris beaucoup de choses . Notamment qu ’ un bon acteur a besoin de s ’ éclater en jouant son rôle . Peu importe toute la complexité technique derrière , lui , il a juste envie de jouer . Et j ’ ai travaillé sur ça dans Lilet chak . Je me suis tellement donné qu ’ il m ’ arrivait de pleurer avec mes acteurs pendant le tournage , qui était très éprouvant . Dans ce feuilleton , j ’ ai fortement réduit le coté technique ,
contrairement à Bolice . Du coup aujourd ’ hui , j ’ ai deux cordes à mon arc : l ’ émotion et la technique . [ rires ]
Et deux prix à ton palmarès … Oui , c ’ était pour le festival de la télévision arabe en Jordanie . J ’ étais étonné pour Lilet chak . Mais pour Bolice , je trouvais qu ’ il avait toutes ses chances quand j ’ ai vu les séries sélectionnées .
On connaît Maguy qui s ’ arrange toujours pour faire plus . Quoi de neuf pour tes projets actuels ? Là j ’ ai commencé à travailler sur un projet plus grand effectivement : Carthage . Il me fallait une combinaison des deux : une création très émotionnelle et très technique à la fois . C ’ est une fantaisie historique préparée avec l ’ aide de Abdelaziz Belkhodja , Dorra Fazaa sur le scénario et moi sur la fiction .
Pourquoi en Tunisie , avons-nous mis tout ce temps avant de traiter de notre Histoire , de Carthage ? Parce qu ’ il faut beaucoup de moyens , et du courage . Les feuilletons coûtent cher et ceux qui traitent de l ’ Histoire coûtent le double . D ’ ailleurs là encore , je recherche le financement de la première saison qui aura pour sujet central la vie d ’ Amilcar .
Majdi , si vous deviez donner un conseil aux jeunes ? Je m ’ adresse à eux et je leur dis : Il faut essayer de trouver ton point fort . Si tu es passionné de cinéma et que ton point fort c ’ est le football , il faut faire du football . A partir du moment où tu sais ce que tu veux faire , lance-toi dans un projet , aussi petit soit-il . Aie l ’ audace d ’ essayer , d ’ échouer , même plusieurs fois , jusqu ’ à ce que tu réussisses !
Raouia Khedher
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