FdT Dec 2015 | Page 117

artisans de Tunisie , mais aussi du Maroc et même d ’ Egypte pour le travail du marbre et du stuc ciselé ( naqshhadida ), du bois sculpté , gravé ou peint . En outre , pour la partie technique moderne – électricité , plomberie , chauffage – le Baron d ’ Erlanger convie des spécialistes d ’ Europe , en particulier de France et d ’ Italie .
Lorsqu ’ on considère la construction depuis le village , on ne voit que le jardin et ses terrasses blanches ; du côté de la mer en revanche on aperçoit une longue maison blanche à la façade haute et rigoureuse , rythmée de balcons fermés à moucharabiehs bleu outremer , surmontée de tuiles vernissées de couleur vert foncé . Ces caractéristiques vont guider l ’ architecture locale , cette construction fait école .
Concernant les matériaux et le répertoire du décor intérieur , les préférences du Baron d ’ Erlanger vont , plus volontiers , aux traditions andalouses maghrébines avec une prédilection particulière pour l ’ arabesque géométrique . Toutefois , on peut déceler dans cette décoration intérieure raffinée un mélange d ’ art arabo-andalou , espagnol et italien . La femme du Baron est italo-américaine et joue un rôle important dans l ’ aménagement intérieur de ce palais de 2200 m2 . L ’ ensemble , au final , dégage une impression de pureté des formes autant qu ’ une grande sobriété chromatique avec des beiges et des orangés prédominants .
Le Baron , qui a une vision urbanistique prospective , obtient des autorités de l ’ époque que le village entier soit protégé avec le décret du 28août1915 . Tout en assurant la protection du village , il impose le bleu et le blanc et interdit toute construction anarchique sur le promontoire .
Ce peintre , musicologue et grand orientaliste qui a étudié à l ’ Académie Julian de Paris et aime peindre des paysages , des portraits et des scènes de rue s ’ entoure de musiciens de l ’ époque , s ’ initie au Qanun ( instrument à cordes pincées ) et s ’ intéresse également aux traités musicaux arabes du Moyen Âge . Son projet est de rassembler tous les écrits et même des textes anciens sur la musique arabo-andalouse et araboberbère . Il entame une traduction française de ces traités ainsi que la collecte et la transcription des répertoires musicaux de son époque . Ses travaux et son intérêt pour la musique sont d ’ une importance telle que le roi Farouk d ’ Egypte le charge de la préparation du premier congrès de la musique arabe qui se tient du 28 mars au 3 avril 1932 . Erlanger y travaille avec l ’ aide de musiciens tunisiens et proche-orientaux . Malheureusement , sa santé ne lui permet pas de se rendre au Caire pour participer au congrès et il décède le 29 octobre de la même année .
En 1987 , ses cendres sont déplacées à Montreux et ses descendants vendent le palais et le domaine au gouvernement tunisien , qui le convertit en un Centre des musiques arabes et méditerranéennes , inauguré en novembre 1992 . Le palais est donc désormais le lieu de concerts , d ’ expositions et de colloques ; une partie constitue un musée où sont présentés des instruments de musique issus de la collection du baron . Il abrite également une phonothèque et un atelier de lutherie .
Texte : Martine Geronimi Photos : Rebort Jewett
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