Nous ne voyons que le tableau du monde et non le monde
tel qu’il est. Et plus encore, nous nous excluons du monde
en l’observant de cette façon, en le nommant, nous ne nous
percevons pas comme faisant partie et du tableau et du monde.
A moins donc de rester dans la contemplation, nous nous
retirons du monde en désignant ce que nous percevons sur le
tableau. Le poète Philippe Mac Leod le dit mieux : « L’énigme
du monde ne tient pas à la chose devant soi, mais au regard
muet qui se dépose sur elle, comme la fine pellicule d’un
glacis qui en fait trembler la surface… ». Autant dire que nous
nous chassons nous-mêmes du paradis en nous dissociant du
tableau. Puisque que l’amour régit le monde, en nous dupant,
l’amour s’amuse à se duper lui-même. L’amour joue à se
tromper, mais cette erreur, qui pour les humains est responsable
de bien des maux, ne change rien à la nature même de l’amour.
Il n’est jamais atteint dans son intégrité par ce jeu de dupes,
de masques. Il marivaude avec une certaine grâce, pour
mieux dévoiler aux spectateurs ou lecteurs sensibles la vérité.
D’ordinaire donc nous nous détachons du tableau,
autrement dit du monde. Seuls la contemplation, le
sommeil profond et l’art (l’écriture, la peinture, la
musique particulièrement) peuvent nous relier à lui.
Tout ce qui nous émerveille, qui ne laisse aucune place
à l’intellect, nous touche au cœur, nous rattache à
nouveau. Et alors nous sommes ce que nous n’avons
cessé d’être : « Ce n’est pas parce qu’on existe que l’on
aime, mais parce qu’il y a de l’amour que l’on existe. […]
C’est pourquoi nous ne pouvons faire autre chose que
d’aimer. Si on laisse peu à peu s’exprimer ce par quoi on a
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