ETC. JOURNAL EDITIONS #2 | Page 44

Nous ne voyons que le tableau du monde et non le monde tel qu’il est. Et plus encore, nous nous excluons du monde en l’observant de cette façon, en le nommant, nous ne nous percevons pas comme faisant partie et du tableau et du monde. A moins donc de rester dans la contemplation, nous nous retirons du monde en désignant ce que nous percevons sur le tableau. Le poète Philippe Mac Leod le dit mieux : « L’énigme du monde ne tient pas à la chose devant soi, mais au regard muet qui se dépose sur elle, comme la fine pellicule d’un glacis qui en fait trembler la surface… ». Autant dire que nous nous chassons nous-mêmes du paradis en nous dissociant du tableau. Puisque que l’amour régit le monde, en nous dupant, l’amour s’amuse à se duper lui-même. L’amour joue à se tromper, mais cette erreur, qui pour les humains est responsable de bien des maux, ne change rien à la nature même de l’amour. Il n’est jamais atteint dans son intégrité par ce jeu de dupes, de masques. Il marivaude avec une certaine grâce, pour mieux dévoiler aux spectateurs ou lecteurs sensibles la vérité. D’ordinaire donc nous nous détachons du tableau, autrement dit du monde. Seuls la contemplation, le sommeil profond et l’art (l’écriture, la peinture, la musique particulièrement) peuvent nous relier à lui. Tout ce qui nous émerveille, qui ne laisse aucune place à l’intellect, nous touche au cœur, nous rattache à nouveau. Et alors nous sommes ce que nous n’avons cessé d’être : « Ce n’est pas parce qu’on existe que l’on aime, mais parce qu’il y a de l’amour que l’on existe. […] C’est pourquoi nous ne pouvons faire autre chose que d’aimer. Si on laisse peu à peu s’exprimer ce par quoi on a 44