Ensemble intercontemporain 2015-16 musical season Brochure de saison 2015-2016 | Page 99

99 J.-P. C. : Les compositions musicales existent sous forme de partitions écrites. Dans le cerveau du compositeur de multiples opérations mentales précèdent l’acte d’écrire. P B. : S’il s’agit, par exemple, des pouvoirs . expressifs de la résonance, mon désir va d’abord tenter, d’une façon vague, de comparer des résonances, de les juxtaposer, de les superposer, de les traiter, au sens où je peux les laisser se prolonger ou, au contraire, les interrompre de façon plus ou moins abrupte. Ce n’est pas encore de l’écriture, et c’est pourtant déjà de l’écriture. J.-P C. : Cette combinatoire mentale ima. ginée doit être incarnée en termes de registres, intervalles, timbres, dynamiques temporelles, etc. L’écriture effective, sur le papier, aide-t-elle à cette transcription de l’idée ? Et réciproquement, le fait de vous exprimer par écrit influence-t-il votre travail mental d’invention ? P B. : Absolument. L’écriture est indis. pensable non seulement pour pouvoir reproduire l’idée originale et lui donner le maximum d’efficacité, mais aussi pour la développer. Si elle a le loisir ou le désir de s’approfondir, elle peut mener vers d’autres territoires, comme les contrastes entre temps lisse et temps strié, la disposition verticale d’un bloc sonore, l’organisation des profils dynamiques, etc. P B. : Cela se fait généralement en deux . temps : je réalise d’abord une « version réduite » – ce que les Allemands appellent der Particell – qui consiste à simplement noter les lignes principales ; ensuite, intervient une phase d’instrumentation avec multiplication de plans, de perspectives, d’hétérophonies, d’ornementations, etc. L’instrumentation est une part capitale de l’invention. On peut aussi élaborer des schémas qui, par des balises disposées de loin en loin, donnent une idée encore passablement intuitive de la durée. Le plus difficile est de veiller au bon équilibre entre la succession des totalités partielles qui s’agglomèrent en une totalité définitive. J.-P C. : Vous mentionnez que, « quelles . que soient les trajectoires et les sources d’invention, c’est toujours l’écriture que nous trouvons comme ferment de l’invention5 ». Qu’entendez-vous par là ? P B. : L’écriture musicale, c’est « le com. bat avec l’ange » ; elle oblige à trouver, à inventer. Elle décompose un matériau et, par là même, incite au développement et à la transformation. Klee en a donné de magnifiques exemples dans ses cours au Bauhaus. L’écriture pose des problèmes, et l’on est obligé de trouver des solutions. J.-P C. : Une partition d’orchestre est . tellement complexe – elle couvre des dizaines de portées verticales et se développe horizontalement sur des dizaines de minutes, voire plus ! Comment s’effectue cette réalisation des objets mentaux musicaux que vous imaginez ? 5 Boulez P Leçons de musique, Paris, Christian Bourgois, coll. « Musique passé présent », 2005. ., Extrait : Chapitre 5 « Conscient et non-conscient dans l’invention musicale ; L'acte d'écrire » p. 168 à 175 Avec l'aimable autorisation des Editions Odile Jacob