Ensemble intercontemporain 2015-16 musical season Brochure de saison 2015-2016 | Page 97

97 ciens, mais aussi certains compositeurs de la Nouvelle Musique dans son temps2, il est certain cependant que l’écriture de la musique a aussi engendré une écriture à lire autant qu’à entendre, et quelquefois même plus à lire qu’à entendre. J’ai déjà évoqué la virtuosité de l’écriture de Bach dans L’Art de la fugue, celle des motets isorythmiques ; on peut y associer les techniques d’écriture liées à la série de douze sons. PHILIPPE MANOURY : Comment voyez- vous votre propre évolution dans le domaine de l’écriture, Pierre Boulez ? Car si l’on pense à la complexité de l’écriture rythmique de votre Deuxième Sonate pour piano, on voit que vous vous êtes par la suite tourné vers, non pas une simplification, mais plutôt vers une rationalisation de l’écriture, pour la mettre plus en accord avec ce que vous vouliez entendre, et donner à entendre. P B. : Je me suis libéré de la sainteté de . l’écriture, qui me paraissait ne mener à rien. Je ne suis pas pour dissimuler les choses. En dissimulant, on révèle davantage que lorsqu’on étale explicitement. Pour moi, l’écriture est quelque chose d’abstrait, mais que l’on doit tout de même entendre. La musique doit être entendue. Mais qu’entend-on exactement ? Je me pose moi-même quelquefois la question. Dans une œuvre classique que je connais, mais que je n’ai pas entendue depuis longtemps, je me perds parfois. Ou plus exactement, je me dis : « Tiens, cela devrait aller dans telle direction ; mais non, cela va dans une autre ! » Je viens de réécouter Le Sacre du printemps dans la chorégraphie de Pina Bausch. Et j’ai découvert des détails qu’auparavant je négligeais parce que c’était plutôt la grande forme qui m’intéressait. P M. : Ce n’est pourtant pas une forme . très complexe… P B. : Non, en effet, c’est une succession de . panneaux. Stravinsky m’a dit – et il a bien fait de le dire – que Le Sacre du printemps a été très vite assimilable parce que sa forme était extrêmement simple et extrêmement divisée. P M. : Selon vous, l’écriture est donc là . pour faire évoluer le matériau, et non pour être cultivée en soi. P B. : L’écriture n’est pas un but en soi. . C’est un moyen au service de l’expression : elle est là pour exprimer un contenu, même abstrait. Quand j’entends une œuvre de Schönberg, comme Pierrot lunaire ou la Serenade, je ne m’interroge pas chaque fois sur ce qu’il voulait exprimer. Mais je sens, surtout dans la Serenade, que ce qu’il exprime est parfaitement adéquat à son langage. J.-P C. : Les sons musicaux sont en géné. ral continus et suivent des rythmes qui peuvent varier dans le temps, eux aussi de manière continue. L’enjeu consiste à découper ces phénomènes sonores en notes et à représenter graphiquement leur hauteur et leur durée. Ne peut- on pas redouter une sorte d’« enfermement réducteur » dans ce processus de transcription des objets mentaux en signes écrits ? Chacun connaît la portée de cinq lignes, avec des notes de forme circulaire pleines ou vides, munies d’une hampe plus ou moins char- gée pour signifier hauteurs et valeurs. Ce système de notation graphique auquel notre œil est habitué suffit-il pour transcrire votre écoute intérieure à l’heure de l’ordinateur et de la musique électroacoustique ? P B. : La notation traditionnelle ne suf. fit absolument plus. Il faut des schémas d’action, une programmation, et des transcriptions graphiques dans la durée pour pouvoir suivre. P M. : Si la notation traditionnelle ne . suffit plus, imaginez-vous, ne fût-ce que vaguement, ce que pourrait être une nouvelle partition susceptible de prendre en charge des phénomènes sonores propres à la musique électronique ? P B. : Plus on recherche la précision dans . la notation, plus elle fuit. Les objets électroniques sont si peu standardisés, tellement complexes, changeants, et tellement soumis à la perception individuelle, que l’entreprise est difficile. C’est un peu la même chose avec les modes de jeu non conventionnels pour les instruments. Dans ce cas, je pense surtout à des notations d’actions. J.-P C. : À quoi exactement correspond ce . que vous appelez la notation d’actions ? P B. : La notation d’actions indique la . manière dont le musicien doit jouer, un doigté particulier par exemple, et diffère en cela de la notation de partition qui est une notation de résultats. P. M. : La partition d’actions rej