Ensemble intercontemporain 2015-16 musical season Brochure de saison 2015-2016 | Page 79
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J’ai à ma disposition une sorte de palette
expressive : des rôles de meurtriers, de
psychopathes ou de schizophrènes…
Dans Penthesilea de Dusapin par exemple,
je chantais Achille en proie à des pulsions
sexuelles. Je pense que la comédie légère
est au contraire une chose beaucoup plus
difficile à interpréter. Le but suprême est
que ce qui se passe sur scène soit le plus
proche possible de la réalité. Mais j’essaie
néanmoins de toujours garder une distance avec ce que je fais, car si l’on est soimême touché, on court un grand risque.
Au cours de la saison vous allez mettre en
scène ce « Mad King » (cf. p. 88)
Je n’ai pas envie de faire quelque chose de
trop complexe. J’ai découvert dans l’Histoire de la folie à l’âge classique de Michel
Foucault la mention du cas de George III.
Celui-ci régnait du temps de la guerre
d’indépendance lorsqu’il a sombré dans la
folie, et la perte du pouvoir a accompagné
la perte de ses moyens intellectuels. Nous
parlons d’une époque où les traitements
psychiatriques n’existaient pas. C’est un
homme qui, à certains moments, ne savait
plus qui il était. Sur scène, il se retrouve
à clamer qu’il est roi alors qu’il ne l’est
plus. J’ai été d’emblée très intéressé par
cette exceptionnelle solitude – celle qui
peut s’exprimer également dans des personnages comme Lenz, Wozzeck, ou le prisonnier de Dallapiccola. Mon projet est de
mettre en scène cette souffrance solitaire.
J’ai imaginé un espace vide afin de sentir
le public respirer avec moi ; c’est la beauté et la magie de la scène. Au fond, cette
partition de Maxwell Davies implique la
même chose que le « Possente spirito »
de L’Orfeo de Monteverdi. On se retrouve
seul à chanter sur une scène dénudée ;
c’est tout. L’opéra est une chose invraisemblable : les gens chantent, dansent et
jouent sur une scène… Contrairement au
cinéma, l’opéra c’est la vie.
D’où vient votre goût pour la scène ?
En quittant les petits chanteurs de Vienne,
je suis entré au Burgtheater de Vienne,
l’équivalent de la Comédie-Française.
En tant que chanteur, j’ai été marqué par
quelqu’un comme Andrea Breth, mais j’ai
ensuite perfectionné mon jeu en travaillant sur le tas avec des chefs comme René
Jacobs ou Nikolaus Harnoncourt ; c’est la
meilleure école. Récemment, j’ai lu tous
les écrits de Constantin Stanislavski. Je
connaissais déjà un certain nombre de ses
idées, mais j’y ai trouvé un espace de liberté et des centaines de possibilités nouvelles pour l’interprétation. En tant que
professeur de chant à Stuttgart, j’essaie
de trouver avec mes élèves les moyens de
s’exprimer au mieux sur scène. Un véritable travail de metteur en scène est aussi
difficile qu’un travail de compositeur.
Vous avez besoin d’un ensemble. Mettre
en scène, ce n’est pas seulement superviser un travail, c’est mettre en mouvement
une équipe pour interpréter une vision.
Et aujourd’hui, je ne suis sûr que d’une
chose : je ne deviendrai jamais compositeur (rires) !
Propos recueillis
par Pierre-Yves Macé