Ensemble intercontemporain 2015-16 musical season Brochure de saison 2015-2016 | Page 52
52
OUVRIR PORTES ET FENÊTRES Cahier découvertes
AU ZARB, MUSICIENS !
Le 3 octobre 2015, sur une idée originale de Sylvie Cohen, responsable des actions éducatives à l’Ensemble
intercontemporain, le concert éducatif « Au zarb, musiciens » réunira les frères Keyvan et Bijan Chemirani,
percussionnistes d’origine iranienne spécialistes du zarb, et trois solistes de l’Ensemble : le percussionniste
Samuel Favre, le violoncelliste Éric-Maria Couturier et le pianiste Sébastien Vichard. Le concert sera animé
par le musicologue et médiateur Clément Lebrun, qui s’appuiera sur cette rencontre entre deux univers musicaux a priori dissemblables pour éveiller la curiosité sonore du jeune public. Conversation avec les principaux
intéressés.
Keyvan et Bijan Chemirani, parlez-nous
du zarb…
Keyvan et Bijan Chemirani : Le zarb
est un instrument de percussion digitale
iranien très ancien, dont l’apparition est
difficile à dater. On sait simplement que
depuis près d’un millénaire, il accompagne la poésie et le chant de façon assez
rudimentaire. C’est un instrument savant,
lié à une forme écrite, mais c’est aussi un
instrument populaire ; on trouve, encore
aujourd’hui, des zarb dans de nombreux
foyers iraniens. L’autre nom du zarb, tombak, dit bien, par onomatopée, les deux
types de sonorités sourdes et claquantes
dont cet instrument est capable.
À partir des années 1950, le zarb s’est
émancipé de son rôle traditionnel. Sous
l’influence de Hossein Tehrani (19121974) notamment, son registre et son répertoire se sont considérablement élargis.
En lien avec le violoniste Abolhasan Saba
(1902-1957), Hossein Tehrani a développé
la technique du zarb, sa tenue, ses doigtés, pour décupler sa palette sonore et en
faire un instrument à part entière, que l’on
peut jouer en solo, en ensemble ou pour
accompagner rythmiquement un instrument soliste plus mélodique. Notre père,
Djamchid Chemirani (né en 1942), a été
l’un des principaux disciples de Hossein
Tehrani. Il a poursuivi son œuvre sur
le plan sonore, et il a popularisé le zarb
lors de concerts diffusés par la Radio
Télévision Iranienne.
Le concert éducatif « Au zarb musiciens »
va mettre cet instrument aux prises avec
des pièces du répertoire occidental
contemporain. Est-ce la première fois
qu’une telle rencontre a lieu ?
Keyvan et Bijan Chemirani : Non, notre
père a déjà amorcé un tel dialogue au
cours de sa carrière. Dès le milieu des années 1960, celui-ci fut envoyé en France
par nos grands-parents pour y poursuivre
ses études de mathématiques, puis de musicologie. Mais les hasards et les désirs de
l’existence font qu’il y poursuivit surtout
la pratique de son instrument, acquérant
progressivement une réputation qui lui
permit de donner des cours au Centre
d’études des musiques orientales (CEMO,
université Paris-Sorbonne) et à la Maison
de la Radio. Là, il fit la rencontre de grands
artistes comme Peter Brook, Carolyn
Carlson, Maurice Béjart… Certains compositeurs français, séduits par la virtuosité de son jeu et par les sonorités de son
instrument, écrivirent alors des pièces qui
incluaient le zarb dans leur instrumentarium. Ainsi naquirent, par exemple, Le
Corps à corps (1979) de Georges Aperghis
ou Le Jardin d’en face (1985) de JeanPierre Drouet.
Sam uel Favre : C’est une aventure passionnante qui méritait d’être poursuivie.
J’ai pour ma part rencontré le zarb lors
d’un stage de percussion avec Djamchid
Chemirani et ses fils, et j’ai eu l’occasion
d’interpréter plusieurs fois en public Le
Jardin d’en face de Jean-Pierre Drouet.
Mais cela ne suffit pas, très loin de là, à
faire de moi un spécialiste du zarb : la
formation du percussionniste occidental est très focalisée sur les instruments
à baguettes, au cœur du répertoire classique et contemporain, alors que des instruments digitaux comme le zarb ouvrent
toute une palette de sonorités plus graves,
plus suaves, plus proches de la voix, plus
proches de l’humain. Pour les solistes
de l’Ensemble intercontemporain, commencer à s’approprier cet instrument est
donc un véritable enjeu musical, mais la
réciproque est vraie : que devient le zarb
quand on le confronte à des pièces de John
Cage, Steve Reich ou György Ligeti qui
n’ont pas été écrites pour lui ?
On pourrait tout aussi bien poser la question en sens inverse : en quoi est-il pertinent d’interpréter, qui plus est devant
un jeune public, des pièces occidentales
contemporaines avec un zarb ?
Keyvan et Bijan Chemirani : Notre père
est un passionné de musique classique
persane, comme l’était son maître Hossein
Tehrani, mais tous deux ont senti que pour
maintenir vivante la pratique du zarb, il
fallait constamment élargir ses potentialités et que cela passait forcément par
la rencontre avec d’autres instruments,
d’autres musiques, d’autres univers culturels. Nous avons appris à jouer du zarb