Ensemble intercontemporain 2015-16 musical season Brochure de saison 2015-2016 | Page 44
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Entretien avec FRANCK BEDROSSIAN
modèle littéraire, visuel, mathématique,
ou autre –, la voix a influencé mon travail,
même dans le cas de musique purement
instrumentale.
Par ailleurs, la nécessité de me situer
par rapport à un texte littéraire ou une
image, qui ont leur propre vie et leur trajectoire formelle indépendante, me déstabilise, au sens le plus positif du terme,
en m’obligeant à trouver des solutions
nouvelles. Depuis, j’envisage le rapport à
la forme musicale d’une manière un peu
différente. Le simple fait de se confronter
à une autre logique, celle d’un texte littéraire par exemple, provoque l’imagination
d’un compositeur. Mais il peut arriver également que l’influence extra-musicale soit
présente sans être explicite, comme c’est
le cas pour cette nouvelle pièce : l’esprit
du lieu, et le désir initial d’articuler des
se nsations d’ordre visuel, en lien avec un
espace singulier dédié aux arts plastiques,
influence l’écriture instrumentale de façon presque « souterraine ».
Comment envisagez-vous justement la
question de la forme et de la durée ?
La plupart du temps, j’ai un plan global,
qui reste toujours flexible. Il est pensé en
termes de dynamiques, de textures, de
vitesse, de proportions, de densité polyphonique, de registres, etc. Un plan principalement graphique qui prévoit l’évolution
de la matière sonore, les différentes pro-
portions. L’organisation des hauteurs
se met en place dans un second temps,
lorsque les différents événements sonores
ont été pensés. Mais une trajectoire préétablie n’est toujours qu’une suggestion
dans mon esprit et reste quelque chose
de malléable. Cette manière d’envisager
la forme est liée à la volonté d’élaborer
une continuité qui reste potentiellement
surprenante – et de pouvoir faire en sorte
que chaque exception, chaque accident
puisse, rétrospectivement, s’imposer à
notre perception comme une nécessité.
Les formes les plus vivantes sont celles
que l’on ne peut résumer, ni prévoir de
manière certaine.
Quelle place cette création occupe-t-elle
dans votre parcours ?
L’histoire de ce projet s’étend en fait sur
quelques années. J’avais initialement été
contacté par Odile Auboin pour écrire une
courte pièce de musique de chambre destinée à l’inauguration du Silo – l’espace
d’exposition dédié à la création contemporaine imaginé par Françoise et JeanPhilippe Billarant. Intuitivement, mais
aussi parce que j’avais en tête l’aura
de ce lieu, j’avais choisi une formation
incluant l’alto (joué par Odile), la flûte
basse (Emmanuelle Ophèle) et la clarinette contrebasse (Alain Billard). Cette
instrumentation, conçue comme une gradation de couleurs et de rayonnements
sonores situés dans le registre medium
et grave, me permettait de développer
une matière unifiée, projetée dans une
lumière singulière. Elle est propice à la
fusion des timbres, mais aussi à la création
de correspondances suggestives, contrastantes et inattendues, avec de fréquentes
oppositions de registres. Par la suite, j’ai
eu l’envie de développer l’esprit de cette
courte pièce dans une œuvre plus vaste, à
laquelle viendrait s’ajouter le violoncelle
d’Éric-Maria Couturier.
C’est ainsi que nous sommes arrivés,
avec cette œuvre finalement intitulée
Accolade, à ce quatuor particulier, pour
deux instruments et deux instruments à
cordes, qui, avec cette combinaison instrumentale désormais dédoublée, octroie
encore davantage de possibilités.
Propos recueillis par Stefan Drees