Ensemble intercontemporain 2015-16 musical season Brochure de saison 2015-2016 | Seite 43
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TOURNÉE ÉTATS-UNIS
Entretien avec FRANCK BEDROSSIAN
compositeur
Franck Bedrossian, voilà maintenant sept
ans que vous êtes installé à Berkeley :
avez-vous le sentiment que ce « dépaysement » se manifeste dans votre musique ?
Je dirais plutôt que j’ai parfois été surpris de découvrir, a posteriori, un lien
insoupçonné entre ma démarche et une
certaine approche du son développée en
Californie. On peut même parler d’une
tradition du son complexe, liée à l’expérimentation : des compositeurs de la West
Coast tels que John Cage, La Monte Young,
Henry Cowell, James Tenney, Harry Partch
– pour ne citer qu’eux –, font désormais
partie de l’histoire de la musique californienne, en un sens. La présence d’une tradition de l’improvisation, du jazz le plus
avant-gardiste, est également prégnante.
Dans ce cadre, j’ai créé des liens avec des
musiciens issus de cette scène, comme
Myra Melford, ou encore George Lewis,
qui est selon moi l’une des figures les plus
singulières de la musique américaine. Un
nombre croissant d’ensembles américains, et notamment le Eco Ensemble de
Berkeley, jouent la musique de compositeurs d’Europe continentale. Si mes pièces
sont entendues comme issues de cette
tradition, le public perçoit toutefois également une relation évidente avec les préoccupations des musiciens free-jazz, ou de
compositeurs expérimentaux travaillant
justement avec des sons complexes. Sans
avoir de lien particulier avec l’improvisation, j’ai découvert assez tôt la musique
de Cecil Taylor, d’Anthony Braxton, du
Art Ensemble of Chicago, etc. Et il est vrai
que des pièces comme It, Transmission,
Digital, Swing, Charleston font par moments référence à cette musique. Mais je
les ai composées bien avant de partir aux
États-Unis, et l’idée qu’un certain public
américain y verrait une correspondance
n’était pas évidente pour moi.
Vous avez été l’élève de Gérard Grisey
au Conservatoire national supérieur de
musique et de danse de Paris ; vous avez
également rencontré à plusieurs reprises
Helmut Lachenmann, mais vous avancez
depuis sur un chemin esthétique bien
particulier (vous parliez à l’instant d’une
esthétique du son complexe) : quelle relation avez-vous aujourd’hui avec l’œuvre
de vos aînés ?
Encore aujourd’hui, je pense que certaines œuvres de Gérard Grisey occupent
une place essentielle dans l’histoire de
la musique récente. D’ailleurs, le premier
séminaire de composition que j’ai tenu à
Berkeley avait pour sujet : « Le mouvement spectral en France ». Mais rétrospectivement, cette approche, encore très
imprégnée par la pensée structuraliste,
ne me convenait pas réellement, et j’avais
besoin de m’en éloigner pour dévelop-
per une autre relation au phénomène
sonore, au temps musical. Par ailleurs, j’ai
été évidemment intrigué et captivé par la
musique de Lachenmann parce qu’elle
intègre des matériaux, et confère une
fonction musicale particulière à certains
éléments sonores, dits « bruitistes ». La
sophistication de son matériau, la force
de certaines réalisations m’ont certainement encouragé à composer la musique
que j’écris aujourd’hui, à explorer certains
espaces par le biais de l’écriture. Malgré
cela, certains choix esthétiques, et surtout
formels, me sont relativement étrangers.
Paradoxalement, j’ai été plus sensible, au
moins dans un premier temps, à l’élaboration de la forme et de la continuité pratiquée par Ligeti, ou par les compositeurs
dit spectraux.
À propos d’évolution stylistique, depuis
2007, vous avez commencé à composer
des œuvres avec voix : cela a-t-il eu un
impact sur votre écriture ? Des inspirations extra-musicales se sont-elles également glissées dans le processus ? Est-ce
le cas de cette nouvelle œuvre commandée par l’Ensemble intercontemporain ?
Cette présence de la voix a effectivement
modifié mon rapport à l’écriture. Alors
que mes idées n’étaient auparavant que
d’inspiration strictement musicale – je
n’étais pas vraiment à la recherche d’un