Ensemble intercontemporain 2015-16 musical season Brochure de saison 2015-2016 | Page 36

36 TURBULENCES NUMÉRIQUES Cluster.X  Entretien avec EDMUND CAMPION compositeur et chercheur Vous dirigez actuellement le CNMAT (The Center for New Music and Audio Technologies) situé à Berkeley. Quelles sont vos activités ? Je suis professeur au sein de l’université de Californie à Berkeley. Le CNMAT a été fondé d ans les années 1980, en collaboration avec l’Ircam. Nous sommes de taille beaucoup plus modeste – seulement 3 à 4 personnes travaillent à ce projet – mais nous développons des activités intégrant recherche et approche artistique. Notre cursus diplômant forme à l’utilisation de l’informatique musicale en temps réel, ainsi qu’au développement de nouveaux instruments électroacoustiques. Nous utilisons de nouveaux medias et travaillons à la composition assistée par ordinateur, notamment avec le logiciel Openmusic mis au point à l’Ircam. C’est un processus d’intégration complète qui sollicite artistes et compositeurs au plus haut niveau. Vous avez présenté vos premières créations en France lors du Festival MANCA et du Festival Présence-Radio France. Votre musique peut donner l’impression d’une relative simplicité formelle qui la rend d’emblée très accessible à l’écoute. Derrière cette accessibilité, il y a pourtant des processus beaucoup plus complexes. Au fil du temps, ma musique a évolué ; je suis devenu conscient du fait que ma musique devait s’adapter, que ce soit à un lieu ou à un contexte précis. Mes œuvres sont en effet souvent jouées devant un public non averti. Si je ne cherche pas obligatoirement à me soumettre aux exigences du public, je suis cependant intéressé par cette forme d’échange qui s’instaure avec les auditeurs. Prenez une œuvre comme Auditory Fiction par exemple. J’y développe des effets d’illusions, des phénomènes totalement imaginaires entre cinéma et cinétique. Je ne suis pas intéressé par le spectacle musical, ou la musique de variété. Le fait de donner un concert sur scène est une situation très artificielle et je me demande toujours ce que l’on transmet véritablement à un public qui n’a pas forcément une idée précise de la manière dont une œuvre est construite. Il y a tant de façons d’aboutir à une forme d’expression artistique… J’aime par dessus tout tisser des relations avec d’autres musiciens, mais aussi des chorégraphes, des artistes qui viennent du théâtre et de l’art vidéo. Pensez-vous que l’avenir de la musique se trouve dans cette approche multidisciplinaire ? Pour une part, oui certainement. Il est nécessaire de réunir les technologies venant d’horizons différents pour parvenir à une médiation collaborative entre plusieurs formes d’expression. Quand je collabore avec des artistes vidéo, c’est pour communiquer et montrer ce dont j’ai envie. Pour cela, je dois avoir accès à toutes les ressources disponibles, ce qui n’était pas possible à une certaine époque. Dans ma carrière, j’ai toujours cherché à faire disparaître les frontières entre les formes d’art et les individus. C’est la seule condition pour générer de l’art à partir de toutes sortes de situations. Même si je respecte la musique du passé, je veux continuer à développer cette approche multidisciplinaire afin d’explorer encore de nouvelles directions. Je suis un enfant du sérialisme et il ne me viendrait jamais à l’idée de rejeter cet héritage. Cependant, l’essentiel pour moi est de savoir comment l’articuler avec d’autres formes. J’ai été l’élève de Gérard Grisey, sans que cela fasse de moi un disciple inconditionnel du spectralisme. J’adore sur Incises de Pierre Boulez, aussi bien que la musique de Talking Heads. Je ne veux pas opposer les genres musicaux mais plutôt découvrir les qualités musicales d’œuvres a priori éloignées de moi. L’idée de savoir ce qui constitue l’art est une question capitale, et en même temps extrêmement complexe. Vous avez été fortement influencé par des œuvres comme Synchronisms de Mario Davidovsky. Quelle relation entretenezvous avec la composition assistée par ordinateur ? Ce qui m’intéresse, c’est la communication entre les univers. Voyez-vous, je suis originaire du Texas et lorsque je suis allé étudier à l’université Columbia à New York avec Davidovsky, j’ai apporté avec moi l’héritage de la musique populaire et improvisée. Avec Davidovsky, on vérifiait méticuleusement le moindre petit détail et j’ai découvert une approche très structurelle de la musique. J’ai beaucoup appris de cette combinaison entre l’univers de la musique improvisée et de la musique écrite. J’ai toujours fait confiance à mes intuitions. Par exemple, en 1989, j’ai entendu pour la première fois la musique de Gérard Grisey, à l’occasion d’une interprétation de Talea. Le lendemain, je lui ai écrit une longue lettre pour qu’il accepte de me prendre comme étudiant. J’ai ainsi vécu plusieurs années à Paris, au cours desquelles je me suis perfectionné à l’utilisation de l’informatique musicale à l’Ircam avant de rentrer, en 1996, à Berkeley. Tout au long de cette trajectoire, je ne me suis jamais senti lié à une quelconque école ou chapelle... Je me suis formé, voilà tout. Comment présenteriez-vous votre projet Cluster.X qui sera au programme de la première des deux soirées « Turbulences numériques » ? C’est un peu comme un corps enveloppé d’une double peau. Il y a tout d’abord la composante visuelle, avec le travail du