Ensemble intercontemporain 2015-16 musical season Brochure de saison 2015-2016 | Page 16

16 seulement de manière expérimentale et originale la partie visuelle – à l’aide de pochoirs et de gélatine colorée –, mais mettent également au point un système complexe de pendules leur permettant de synchroniser le mouvement des éléments visuels abstraits avec du son optique. Cette technique alors récente permettait de générer des sons « synthétiques », et cela bien avant la musique électronique et la musique concrète. Par exemple, tandis qu’une forme abstraite s’éloigne dans l’arrière-plan, un son « venu de nulle part » 2 qui lui est associé passe progressivement de l’aigu au grave puis s’estompe. Les Whitney explorent, à travers ces petits films, un certain nombre de relations entre image et son, en veillant en permanence à ce qu’aucune des deux composantes ne prennent le pas sur l’autre. C’est, à notre sens, la première manifestation d’une œuvre réellement audio-visuelle. Les deux frères écrivaient déjà à ce propos en 1944 : « […] de réelles possibilités créatrices émergent quand la structure de l’image dicte ou “inspire” la structure sonore et vice-versa, ou quand leur conception est simultanée. Ceci évidemment est mieux réalisé quand les deux parties ont des origines créatrices communes » 3. Contrairement à son frère James qui va au fil des années abandonner ses expérimentations, John Whitney consacrera sa vie à la création. Ce dernier réalisera dans les années 1960 le premier film d’animation artistique par ordinateur, puis développera ses théories sur la complémentarité audio-visuelle 4. Il mettra celles-ci en pratique grâce à un instrument logiciel, le « Whitney-Reed RDTD », outil de composition audiovisuelle en temps réel qu’il aura lui-même imaginé. Il est donc l’une des figures pionnières de ce que l’on pourrait appeler l’« art audiovisuel » 5. Les abstractions « audiographiques » d’Antoine Schmitt et de Franck Vigroux renvoient assez directement aux expérimentations de John Whitney. Dans Extension sauvage, de manière différente mais tout aussi intéressante, ce sont les paysages vidéo de Jacques Perconte, tournés à Madère, qui vont dialoguer avec les compositions minimalistes de Jeff Mills pour tenter d’accomplir une fusion audiovisuelle. Par un traitement complexe de l’algorithme de compression numérique, Jacques Perconte applique à l’image vidéo des pixellisations graduelles qui l’emportent dans des abstractions picturales aux couleurs surprenantes et saturées pendant que Jeff Mills, explorateur familier des rapports entre musique et image, imprime au flux de la vidéo de subtiles oscillations rythmiques et musicales. Dominique Willoughby écrivait à propos du cinéma de Len Lye – un cinéaste d’animation contemporain de John Whitney – qu’il avait « [...] sans doute créé un des meilleurs modèles du cinéma graphique musical, par le choix de ses musiques, la puissance de ses images, et par une dialectique de leurs relations, faites de jonctions et de disjonctions, de synchronisme et d’asynchronisme, ménageant les espaces nécessaires à leurs existences respectives. Le cinéma graphique et la musique ne s’illustrent pas l’un l’autre ni ne s’accompagnent mutuellement, ils se rencontrent et rentrent en résonance » 6. Cette description s’applique très bien à la rencontre entre les variations électroniques de Jeff Mills et l’art vidéo de Jacques Perconte. Une autre collaboration, Cluster.X, verra s’entrecroiser une vidéo générative de Kurt Hentschläger, l’un des membres du duo Granular-Synthesis (acteur référent de la performance audiovisuelle artistique au début des années 1990), et les compositions contemporaines d’Edmund Campion. On pourra y voir et y entendre d’évanescentes silhouettes abstraites, baignées dans une atmosphère sonore dense et énigmatique, se matérialiser progressivement dans un lent mouvement. Si le matériau visuel et sonore est en partie préparé à l’avance, il est diffusé 2  homas Y. Levin, « “Des sons venus de nulle part.” Rudolf Pfenninger et l’archéologie du son synthétique », T dans le catalogue Sons & Lumières. Une histoire du son dans l’art du xxe siècle, Paris, Centre Pompidou, 2004, p. 51. 3 John Whitney, « Musique audio-visuelle : musique couleur – cinéma abstrait », trad. Alain Alcide Sudre,  dans Yann Beauvais, Musique Film, Paris, Scratch / Cinémathèque Française, 1986, p. 26. 4  ohn Whitney consignera ses recherches dans son ouvrage Digital Harmony : On the Complementarity of Music and Visual Art, J New Hampshire, McGraw-Hill, Peterborough, 1980. 5 Le terme « audiovisual art » est plus courant en anglais et couvre l’ensemble des œuvres définies par leur rapport entre image et son. 6 Dominique Willoughby, Le Cinéma graphique : une histoire des dessins animés, des jouets d’optique au cinéma numérique, Paris, Textuel, 2009, p. 170.