Ensemble intercontemporain 2015-16 musical season Brochure de saison 2015-2016 | Page 15

15 DOSSIER Les nouvelles scènes de la musique Chercher l'équilibre : dialogues contemporains entre image et son par BENOÎT MONTIGNÉ Sur la scène, deux artistes manipulent dans l’obscurité leurs machines respectives. L’un est plasticien, l’autre musicien. Le premier projette sur l’écran noir des essaims constitués de minuscules points blancs animés qui, tour à tour, se réunissent, se défont et se réagencent pour venir former des nuages géométriques instables et éphémères. Le second génère en temps réel des vagues de bourdonnements et de déchirures électro-acoustiques, en tension avec ces particules en perpétuelle agitation. C’est ainsi que dans Tempest d’Antoine Schmitt et de Franck Vigroux, flux visuels et flux sonores s’entremêlent dans des chorégraphies mi-préparées, mi-improvisées, sollicitant notre double perception de spectateur-auditeur. Ce type de production scénique intégrant de l’image et du son n’est pas nouveau, loin de là. Appelé communément « performance audiovisuelle », il repose sur l’arrivée dans les années 1980 de logiciels informatiques permettant de mixer et de projeter des images afin d’accompagner les performances « live » de musique électronique. Il s’est développé avec l’avènement des festivals numériques, qui ont permis le décloisonnement de ces pratiques tout en autorisant des démarches plus artistiques. Il n’en reste pas moins que l’image joue souvent un rôle ingrat : illustrer une création à dominante musicale. Inversement, pour une majorité d’œuvres s’inscrivant dans le champ des arts de l’image en mouvement, une place restreinte est accordée à la création sonore. Ce n’est toutefois pas le cas dans les expériences proposées dans la programmation 2015-2016 de l’Ensemble intercontemporain. Tempest, d’Antoine Schmitt et de Franck Vigroux, Extension Sauvage de Jacques Perconte et de Jeff Mills, Cluster.X de Kurt Hentschläger et d’Edmund Campion (cf. p. 34), et enfin No More Masterpieces du collectif 331/3 (cf. p. 66) sont les espaces d’une recherche d’unité, voire de « synesthésie » entre l’image et le son. Au-delà du propos artistique, ces artistes cherchent également à transcender la question de la distinction traditionnelle entre musique et image en mouvement, en donnant naissance à une véritable entité composite, dont chaque « aile »1 – le visuel, le sonore – résonne avec une force égale. Dans l’histoire des arts de l’écran, un moment déterminant dans cette quête d’équilibre peut être identifié au début des années 1940 : John Whitney et son frère James réalisent cinq courts métrages d’animation appelés Five Abstract Film exercises (1943-1944). Ceux-ci sont conçus en réaction à d’autres travaux antérieurs, qui, s’ils sont tout à fait remarquables (citons en particulier les films du pionnier Oskar Fischinger), partent d’une musique préexistante sur laquelle ils viennent synchroniser des formes animées. Dans la perspective de dépasser ce procédé, les frères Whitney développent non 1 Pour reprendre l’expression du lettriste Isidore Isou dans son film Traité de bave et d’éternité (1951), dont le texte a été édité aux éditions Hors Commerce en 2000.