Ensemble intercontemporain 2015-16 musical season Brochure de saison 2015-2016 | Page 106

106 Entretien avec ÉMILIE SATRE artiste plasticienne Existe-t-il des rapports entre dessin et musique, et plus spécifiquement entre vos dessins et des musiques ? On peut effectivement trouver des liens entre la musique et le langage plastique. Certaines problématiques formelles peuvent trouver écho dans l’une ou l’autre des deux pratiques : nous manipulons des gammes, des tonalités, des amplitudes, des textures, des transparences ou des recouvrements. Il est souvent question de motifs, de rythmes, de répétitions, de symétries, d’échos, de ruptures, d’harmonies et de dissonances, de vides ou de silences, de saturations. Dans le champ de la musique comme de la peinture, il y a aussi des pièces intimistes, des pièces narratives ou abstraites, des pièces construites, des pièces polyphoniques, des formes courtes, des formes longues. Certaines musiques ont fortement transformé ma pratique, que ce soit dans ce que leur expérience en concert m’a permis d’entrevoir ou lors de leur écoute dans le contexte de l’atelier. Le premier choc a eu lieu lors de soirées sur les minimalistes américains organisées à l’Opéra de Rouen. J’étais alors étudiante et j’ai découvert en même temps Steve Reich, Philip Glass, John Cage et Terry Riley. Le disque de ce dernier, "A Rainbow in Curved Air", faisait partie de la collection de vinyles de mes parents, et avait été, dès ma première écoute, toute jeune, une énigme et une étrange découverte (il fait maintenant partie de mes disques préférés). La relation très particulière de cette musique au temps et à la perception m’a permis de découvrir et d’apprécier la musique indienne, les musiques de gens comme Morton Feldman ou Luigi Nono mais aussi la scène électronique dans laquelle j’ai été baignée durant mes années passées à Berlin. J’ai ainsi pu clairement faire des liens entre l’abstraction en musique et en art plastique et envisager le motif et sa déclinaison comme une source inépuisable de renouvellement, la variation comme une mise aux abois de l’attention et de la perception et considérer l’importance des vides et des intervalles. Mon travail a perdu son aspect narratif et a pris une dimension plus abstraite, plus physique aussi. au final. Ce n’est pas là que je cherche. Je ne cherche pas à atteindre une image précise. Je me donne par contre des outils ou des modes d’emploi pour avancer, des règles du jeu. Des principes formels qui me permettent de découvrir des formes, d’arriver sur de nouveaux terrains. Je décide par exemple d’un type de formes ou de mode d’action, d’une gamme de couleur, ou encore d’un instrument. Ensuite, je suis un chemin en déployant ces principes de manière plus ou moins libre. La règle est plus un point de départ, quelque chose qui me permet de lancer le processus. J’estime qu’un dessin est achevé non pas lorsqu’il correspond à une image préconçue (sinon le chemin ne vaudrait pas la peine d’être parcouru), mais lorsqu'il trouve un point d’équilibre ; ce point d’équilibre ne devant pas être trop statique pour que des questions restent en suspens et que le dessin soit ouvert sur un prochain qui poursuivra la route. Comment commence un dessin ? Comment se finit-il ? Diplômée de l’École des beaux-arts de Rouen, trois ans berlinoise (de 2002 à 2005), Émilie Satre expose à Paris, Genève, Londres, Berlin et Montreuil, où elle vit et travaille. Un dessin commence toujours avec une idée assez vague, une direction, une intuition. Je sais rarement ce que je vais trouver Propos recueillis par Bastien Gallet