Colloque Julius Koma COLLOQUE corrigé le 4 juin 2017 | Page 88
de l’art, c’est l’iconographie médicale qui m’intéresse. Il m’intéresse de voir en quoi elle peut
me dire quelque chose sur la personnalité de Velpeau. Ces toutes premières planches qui
assoient en quelque sorte le prestige de Velpeau présentent des mains, qui nous expliquent
comment faire les sutures, comment tenir un bistouri. Le mot « prestige » n’est absolument
pas gratuit parce que je l’utilise de manière délibérée pour expliquer en quoi cette première
planche parle d’une sorte d’enchantement, une sorte de tour de passe-passe, c’est une sorte
de prestidigitation. Cette première planche donne à lire une sorte de chirologie. Il faut lire un
peu dans les creux de ces mains à qui on a à faire exactement. Ce que j’apprécie tout
particulièrement, c’est le tact, de tactus, le toucher, une certaine manière d’entrer dans le
vivant. On y voit à quel point Velpeau revient sur certains mots extrêmement forts. Il parle
d’aplomb, d’adresse, de précision, de promptitude, de sang-froid tout en mettant en garde
que lors d’une ouverture du corps, il faut tout de suite passer à l’attaque en quelque sorte.
Donc de là à penser une sorte de science inébranlable, une science éminemment
positiviste...
J’aime aussi la façon dont ces mains se découpent du fond blanc de la planche. J’aime aussi
cette gémellité heureuse où la gauche vient en quelque sorte tempérer la dissymétrie. A un
moment donné, il y a cette gauche qui se noue par un geste, un fil, une soudure à la droite,
unissant par là ce qui était séparé, cousant ce qui était coupé, conciliant ce qui a été dit avec
ce qui a été fait. Alors, elles sont gesticulantes, sans doute appliquées à ouvrir, œuvrer . Elles
sont également orales puisqu’elles portent la parole de Velpeau… et la mienne.
Ces mains sont aussi graphiques. Elles ne font pas que faire saigner elles signent aussi.
Quoi d’autre illustre leur jeu opératoire, que ce jeu de mains, fait d’antagonismes, une,
multiple, gauche, droite, active, passive, muette, parlante, sinon la figure même du
chirurgien. Et on comprend au bout de la pantomime, qu’avant d’être une tête, le « chirurgo »
comme le nom l’indique est une main avant tout.
Les mains de Velpeau se donnaient souvent en spectacle. Je pense ici notamment à sa
carrière à l’hôpital de la Charité. Ces sciences soutenues avec une ponctualité proverbiale
durant trente ans sont des mentalités cliniques assez intéressantes pour l’historien de la
médecine mais aussi pour l’historien de l’art puisqu’on côtoie parmi des disciples de
Velpeau, des collègues, mais aussi des littéraires et surtout des artistes.
Toute cette mondanité clinique s’explique en quelque sorte par la personnalité forte de notre
chirurgien, par sa persuasion, par toute cette chorégraphie des gestes. Ce n’est pas
seulement Villiers de L’Isle-Adam qui est attiré par la figure de Velpeau, c’est aussi le cas
des frères Goncourt. Dans Sœur Philomène, il y a certains passages où ils insistent sur cette
présence presque intimidante, presque sacerdotale, j’insiste sur ce mot. C’est un corps
raide, des cheveux blonds, une main agile, le regard perçant avec ces sourcils
« buissonneux » qu’il est obligé de tailler de temps à autre. Il me semble que sont là les
atouts, en tous cas les atouts extérieurs, d’un homme particulier qui n’a pas besoin de
bistouri pour imposer son pouvoir sur le corps d’autrui.
Villiers de l’Isle-Adam écrit son conte non seulement avec la mémoire d’un homme qui
donnait aux autres le meilleur de soi-même mais aussi et surtout, et c’est là que ça
m’intéresse, avec une certaine image en tête et je pense qu’il connaissait très bien ce
tableau d’Augustin Feyen-Perrin.
Ce tableau se trouve à Tours actuellement.
Voici une esquisse préparatoire légèrement différente. Il s’agit d’un dessin fait sur toile
directement. Il me semble qu’Augustin Feyen-Perrin a enlevé justement la figure qui fixait le
spectateur. Elle faisait trop concurrence à Velpeau. Alors, tout est nettement mieux
homogénéisé dans la version finale, l’accent est mis sur cette personnalité centrale qui est le
corps de Velpeau. Il me semble que c’est un tableau qui fonctionne mieux que n’importe
quelle image, bien que je vous ai montré aussi des photographies. Velpeau est passé un peu
dans l’atelier des illustres photographes de l’époque : Carjat, Nadar et surtout l’atelier de
Petit. Il me semble quand même que le tableau façonne mieux que n’importe quelle autre
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