Colloque Julius Koma COLLOQUE corrigé le 4 juin 2017 | Page 87

Est-ce qu ’ il ne s ’ agit pas plutôt des images de la honte ? Des images à bannir en quelque sorte ? Je me sers d ’ une petite étude de cas pour vous introduire dans mon 19 ème siècle . Mais je pense que notre 21 ème siècle se reflète assez bien dans ce siècle qui est un siècle du regard , un siècle de l ’ œil . Mon long 19 ème siècle correspond en quelque sorte avec l ’ instauration de la guillotine en tant qu ’ instrument de punition capitale et l ’ essor de la photographie . En tous cas , de la libéralisation de la photographie en tant que pratique artistique . J ’ essaie d ’ inclure toute cette iconographie entre deux appareils , entre deux mécaniques , et surtout entre deux obturateurs . Il est question aussi d ’ escamotage : donner à voir , mais en même temps , cacher quelque chose . Je me sers d ’ un conte insolite et cruel de Villiers de L ’ Isle-Adam qui s ’ appelle Le secret de l ’ échafaud publié pour la première fois dans le Figaro du 23 octobre 1873 et repris en plusieurs éditions par la suite . C ’ est un conte extrêmement bien documenté . Ce n ’ est pas le premier conte , où Villiers de L ’ Isle-Adam parle de décapitation . L ’ auteur , est un lecteur avide de presse , il côtoie des médecins , c ’ est quelqu ’ un d ’ extrêmement curieux , assistant lui-même , à en croire Léon Blois , en spectateur éclairé à des exécutions publiques . C ’ est donc quelqu ’ un qui sait très bien de quoi il parle . J ’ essaie de résumer un peu la froideur analytique de cette histoire qui raconte l ’ étrange discussion qui a lieu entre deux compères , le Docteur Alfred Velpeau et le Docteur Couty de la Pommeraie . Tous les deux ont un dialogue franc empreint de terminologie médicale . Dans une prison , ce dialogue nous familiarise avec les dernières recherches menées sur les décapités . On va comprendre par la suite le sens de cette exhaustivité lugubre . Le Docteur Velpeau voulant faire une sorte d ’ offre à la Pommeraie , condamné à mort , lui demande de cligner trois fois de suite la paupière de son œil gauche d ’ un simple appel après sa décapitation . Ce serait le signe irréfutable censé dissiper les doutes dans lesquels le corps médical était plongé depuis quelques décennies , à savoir si une tête pouvait survivre une fois détachée du tronc . L ’ expérience s ’ achève par un laconique décevant : « c ’ était fini ». Une fin marquant l ’ impuissance du supplicié à donner satisfaction aux demandes de Velpeau . Elle se clôt sur une forme de cynisme littéraire . Je pense ici notamment à la métaphore lexicalisée du Docteur Guillotin telle qu ’ on lui a attribuée – parce qu ’ on a encore raison de douter : « Je ferai sauter les têtes en un clin d ’ œil ». On voit comment cette métaphore lexicalisée du Docteur Guillotin , le clin d ’ œil effectif refusé par Couty de la Pommeraie semble apporter un cinglant démenti . Je me sers un peu de ce conte cruel et fantastique de Villiers de L ' Isle-Adam , pour poser justement cette question de principe : qu ’ est-ce que ça veut dire « Mourir en un clin d ’ œil . » ? Le nom de Velpeau , pour le lecteur de 1873 , ne pouvait pas laisser indifférents les lecteurs de Villiers de L ' Isle-Adam . Puisqu ’ il s ’ agit d ’ une grande personnalité de la médecine française . C ’ est un brillant chirurgien à l ’ hôpital de la charité . De 1834 jusqu ’ en 1867 , jusqu ’ à la fin de sa vie , il officie à l ’ Académie de Médecine . Il est élu également à l ’ Académie des Sciences en 1843 . Pour faire court , Alfred Velpeau est une sommité du monde médical qu ’ il était de toute façon impératif d ’ immortaliser . Son parcours a été extrêmement fulgurant . C ’ est un enfant précoce qui a un sens inné de l ’ observation . Il va apprendre les rudiments de la médecine à Tours où il va être un peu le protégé de Bretonneau qui l ’ initie aux secrets de l ’ épidémiologie , à l ’ usage de la digitaline notamment . Il va se jeter tel Curtius dans ce gouffre qu ’ on appelle communément Paris . Il va entrer dans cette grande capitale pour mieux s ’ imprégner du savoir médical . On sent tout de suite chez lui un esprit encyclopédique à qui rien n ’ est étranger . Il connaît les anévrismes , les paralysies , les adénites , les accouchements , les maladies des yeux , du sein , les pansements , les trépanations et pour finir sa grande passion : l ’ anatomie chirurgicale . Il va multiplier les publications , les articles et un livre qui va « créer l ’ histoire », en quelque sorte , en tout cas une pièce très importante dans l ’ histoire de la chirurgie française : Nouveaux éléments de médecine opératoire . C ’ est un ouvrage très moderne à l ’ époque . C ’ est un peu le catéchisme de tous les aspirants en chirurgie et un livre en quatre tomes . Un atlas l ’ accompagne . Venant du domaine de l ’ histoire
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