Colloque Julius Koma COLLOQUE corrigé le 4 juin 2017 | Page 86

D-A Boariu : Merci beaucoup Jean-Pierre Denefve. J’avoue avoir hésité avant d’accepter votre aimable invitation ne sachant comment mon intervention pourrait trouver sa place au sein d’un colloque qui parle de la postérité des corps. Alors que j’ai plutôt l’intention de vous parler de la décapitation, en tant que phénomène esthétique et je souligne ces mots. Je propose ma maigre contribution, mes maigres études autour de ce phénomène qui parle plutôt de ce « ici et maintenant du corps », cette espèce d’entre-deux inconfortable entre l’avant et l’après, entre la vie et la mort, entre le tout et le reste. Je vous propose de nous arrêter un peu sur le seuil de la lunette puisqu’il y sera beaucoup question de guillotine dans mon intervention. Pour faire bref, il s’agit d’une petite recherche faisant partie d’une grande recherche, une thèse de doctorat toujours en cours, qui porte de manière générale sur les liens existants entre l’art et l’anatomie au 19 ème siècle. Elle parle d’un siècle qui est moins bien « travaillé » sur le plan iconographique. Les rapports directs avec cette mort qui est une mort tout à fait spéciale puisque c’est une mort-événement : la décapitation. J’envisage tout au long de cette thèse de tenir toujours compte d’une sorte de triade qui se construit entre la justice, la médecine et l’art, une espèce de t rinité du pouvoir, trois instances qui sont donc : le médecin - le chirurgien - l’artiste - le juge avec son avatar, le bourreau. Ce sont des personnalités fortes qui m’intéressent. Pour voir comment ces instances du pouvoir manipulent le corps d’autrui, le corps du sujet à disséquer, à condamner, à peindre. Le lien n’est pas si anodin que ça puisque tout le monde le sait, ce furent deux médecins qui ont inventé la guillotine : le Docteur Louis et le Docteur Guillotin. C’est déjà un rapport idéologique au corps pour ne pas parler d’un rapport physique, de savoir que, par sa construction, une guillotine, le corps doit se plier à l’instrument néoclassique. Par l’austérité de ses formes la guillotine doit se plier au corps du condamné. Hier, il était question de traumatisme, il y a toujours ce mythe de la méduse qui va ressortir, puisque la méduse c’est aussi, si je prends l’expression de Roland Barthes, c’est ce qui colle à la rétine. C’est une image qui va de soi, ce n’est pas une image qui s’interprète, c’est une image qui s’impose, c’est une image qui se vit. C’est aussi un jeu de chantage, un jeu d’intimidation. Pour m’approcher un peu du profil de ce colloque, puisqu’on parle des restes, évidemment, je ne m’occupe pas des crânes, je m’occupe uniquement de la tête coupée. Mais il y a quand même des restes sous forme de plâtres, sous forme de tableaux... J’attire seulement votre attention sur le fait que ce sont des images qui ne se donnent pas souvent à voir. Jean Clair a organisé il y a trois ans, en 2011 si je ne me trompe pas, une magnifique exposition Crimes et Châtiments. Une exposition très sonore, une exposition qui en jetait beaucoup. Il y avait là des tableaux qui n’ont jamais été exposés, du vivant de l’artiste Géricault par exemple, les études, les ébauches qu’il a faites pour le Radeau de la Méduse. Autres tableaux jamais exposés : les têtes du Giuseppe Fieschi, qui a attenté à la vie de Louis-Philippe d’Orléans en 1835. On peut se poser la question : est-ce qu’il s’agit d’une iconographie licite ou illicite ? 86