Colloque Julius Koma COLLOQUE corrigé le 4 juin 2017 | Page 59

Alors , comment s ’ identifier dans cette situation ? Est-ce qu ’ il est possible de transcender une dépossession de soi ? Pensons aussi à sa maladie , à son martyre , martyre dans tous les sens , martyre physique et martyre moral . Qu ’ est-ce qu ’ être une bête de foire ? Quid aussi du choc d ’ une certaine gloire , d ’ une certaine réputation ? Nous savons par les annales hollywoodiennes que devenir une grande vedette n ’ est pas toujours facile à supporter . Et on a des exemples célèbres de maladies psychiques et même de suicides à ce propos-là . Donc il y a une sorte de dépossession de soi . Qu ’ en est-il de l ’ estime de soi quand on est ainsi exposé à la curiosité et exploité ? On n ’ a peut-être pas beaucoup d ’ éléments sur les conditions dans lesquelles on l ’ a fait travailler . Mais tout porte à croire que ce n ’ était pas réjouissant tous les jours . Par conséquent , on assiste à quelque chose à quoi on a fait allusion hier à propos de la dépouille mais qui va véritablement être important pour le vivant . C ’ est une sorte de réification , de chosification comme disait Sartre , devenir un objet médical de curiosité après avoir été un objet de monstruosité étalée . Et une curiosité qui va de la science à la spéculation , au touristique et au financier . Par conséquent se posent ainsi quelques problèmes : la détention et la monstration de restes humains , est-ce un sacrilège , est-ce une question de vanité , est-ce une question de profit ? Etc . Et , ça me rappelle quand même aussi , on y fera allusion tout de suite après moi je crois , le culte des reliques , reliques qui n ’ ont jamais été identifiées par l ’ ADN bien sûr , qui se raccrochent à toute une série de croyances qui manient aussi bien le respect qu ’ une espérance plus ou moins folle ou l ’ idée d ’ immortalité et surtout me semble-t-il un fétichisme qui n ’ est quand même pas toujours très honorable . D ’ un point de vue d ’ une philosophie matérialiste , la mort fait partie de la vie , Mais le devoir de mémoire dont on nous parle beaucoup aujourd ’ hui ne s ’ applique que très imparfaitement à une situation privée . On peut toujours se poser la question : qu ’ y a-t-il d ’ important dans tout cela ? Quand on pratique les rites qui sont extrêmement universels , Est-ce vraiment pour le mort qu ’ on fait tant d ’ histoires , qu ’ on dépense tant de temps et d ’ argent ou bien est-ce pour soimême ? Est-il moral de profiter d ’ un être vivant et ensuite d ’ un être mort ? On en a beaucoup parlé hier : monsieur Saint-Ghislain notamment , en matière de droit . Je suis un grand défenseur de la dignité humaine . Mais je me demande toujours ce qu ’ on met dans ce mot . Quelle en est la définition ? Quelles en sont les conditions ? Je suis toujours agacé , j ’ ose le dire , par le fait qu ’ on en fait plus pour les morts que pour les vivants . Ça m ’ a toujours choqué depuis que je suis tout petit qu ’ on oublie les vivants , mais on va assister à leur enterrement . On ne les secourt pas d ’ une façon ou d ’ une autre mais on se croit obligé d ’ aller assister à quelque chose à quoi la personne la plus intéressée , c ' est-àdire le mort , ne peut pas assister lui-même et ne peut pas se rendre compte de ce dernier service . Je me demande si finalement derrière toutes ces coutumes qu ’ on peut appeler respectables , tout en étant indulgent s ’ il n ’ y a pas tout simplement les effets plus ou moins pervers , plus ou moins irrationnels de l ’ ignorance et de la peur ? Je crois qu ’ il reste au fond de nous-mêmes , depuis le fond des âges , une peur des morts . On en plaisantait hier , je crois , avec Claude Javeau qui disait qu ’ ils viendraient nous tirer par les pieds pendant la nuit , etc . L ’ idée des revenants , l ’ idée du compte à régler , l ’ idée d ’ avoir un devoir Post-Mortem est assez curieuse . Tout cela est mêlé de beaucoup de superstitions et me paraît moi une victoire de l ’ irrationnel , une exploitation de l ’ irrationnel car ce n ’ est pas perdu pour tout le monde . On a rappelé que le culte des morts serait signe de l ’ hominisation et du début de la civilisation . Je rappelle quand même qu ’ on a découvert depuis lors que certains animaux esquissent au moins des rites semblables . Et par conséquent , nous rencontrons là un gros problème philosophique qui traverse les âges . Qu ’ est-ce que l ’ homme ? A partir de quand , est-on dans l ’ humain ?
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