Colloque Julius Koma COLLOQUE corrigé le 4 juin 2017 | Page 40

Je ne vais pas entrer dans les détails du pourquoi on se fait incinérer mais il y a des réponses à cela. Au XXème siècle et surtout au cours de sa deuxième moitié, on assiste à un double mouvement, d'un côté un escamotage non pas de la mort mais du mort. J’ai tendance à aimer répéter qu’on se débarrasse du mort mais pas de la mort. Donc on se débarrasse du mort, on l’escamote. Je me souviens que quand je donnais cours sur la mort, dans mon cours de « Socio-anthropologie du quotidien », j’avais ajouté anthropologie expresse. Je demandais à mes étudiants, qui avaient 22-23 ans, s’ils avaient déjà vu un vrai mort. Non, la plupart disait non. Sauf accidentellement, on ne montre pas les morts. « Bon-papa est parti en voyage ». 75 % des individus, on peut discuter des chiffres, meurent à l’hôpital. Quand on y arrive lors d’un décès, on vous dit « attention il est mort », si vous insistez vous le verrez, mais peu de gens insistent, ça fait peur le mort. Donc on est expédié et puis après vous recevez une urne ou un cercueil. Différentes manières, je dirai modernes ou postmodernes de vivre la mort existent maintenant, qui sont des manières de masquer l’agonie ou la prise en charge par la médecine notamment en matière de soins palliatifs. L’euthanasie autorisée par une loi de 2002 fait que l'expérience de la mort s’est modifiée. Celui qui va mourir le sait mais il sait qui va mourir proprement si j’ose dire. Quand on demande aux gens « comment voulez-vous mourir », des enquêtes qui ont été faites généralement : « oh moi, vite, d’un infarctus », sans penser à ceux qui survivent. On peut aussi avoir le rêve d’une agonie qui fait trembler tout l'hôpital pour une dernière fois emmerder le monde, je ne vise personne mais ça ne me déplairait pas. Il y a surtout dans notre société actuelle une mise en scène médiatique de la mort. D’abord les morts réelles, les guerres, ce n’est pas ça qui manque. On peut regarder maintenant sur internet des décapitations, généreusement fournies par quelque chose qui s’appelle l’état islamique. Mais même sans aller dans des taux aussi catastrophiques pour la dignité humaine, je reviens sur le thème utilisé tout à l’heure, il y a un tas de circonstances où nous voyons des morts. Lors du tsunami en Thaïlande en 2004, on a reproché à la Libre Belgique d’avoir sur sa Une mis une grande photo de cadavre sur la plage. La Libre Belgique vous vous rendez compte ? Elle a un peu changé. Donc il y a les morts des catastrophes, les morts des guerres, les morts des émeutes, avec parfois une insistance … Il y a aussi les morts fictives, avec une abondance de morts violentes. Les scènes de crime, par exemple, non seulement à la télévision ou au cinéma mais maintenant sur ce qu’on appelle les réseaux sociaux, mais également dans la bande dessinée. Spirou a une série qui s’appelle Pierre Tombal : un fossoyeur qui porte un nom qu’on a bien choisi j’imagine, avec des dessins macabres, des squelettes, des gens qui sortent de leur tombe etc… choses que la plupart d’entre nous ne supporteraient pas j’imagine. Ce qui est extraordinaire aussi c’est le nombre, dans les séries policières, de scènes de morgue. La morgue est devenue un lieu commun de toute une série de représentations télévisuelles. Le grand spécialiste socio-anthropologue français, spécialiste de la mort, Louis-Vincent Thomas, dont on célèbre cette année le 20 ème anniversaire de la mort, a écrit à ce sujet dans un livre qui s’appelle La Mort en questions : « En fait, la mort spectacle n’est pas un fait nouveau. Des arènes antiques où les chrétiens subissaient le martyr aux charrettes révolutionnaires, aux exécutions capitales d'aujourd'hui faites en public au Soudan, en Irak, en Iran, sans oublier les courses de taureaux – j’aime bien qu’il ait écrit ça – , les hommes ont toujours aimé se repaître de la mort des autres. La télévision a permis à des millions de spectateurs d'assister à l'assassinat Kennedy, par exemple ». Mais j'ajouterais, ce n’est pas Louis-Vincent qui le dit, qu’il ne s’agit pas de la mort d’un proche ou de quelqu'un qui pourrait l'être, ce sont des morts lointaines. Si vous pendez une femme iranienne coup