Colloque Julius Koma COLLOQUE corrigé le 4 juin 2017 | Page 103

Ce crâne fut quelques fois un véritable piège à filles . Interdites en le voyant , elles restaient là , ne sachant pas quoi faire de leur corps . Elles flippaient comme on disait alors . On est magicien avec ce qu ’ on a sous la main . Un jour , avec une certaine Catherine je crois , j ’ organisai une sorte de séance de prises de vues , un showcase dirait-on aujourd ’ hui , nous posions travestis le crâne à la main . Puis je disposais le crâne au sommet d ’ un haut-parleur en lamé noir brillant , le couvrait d ’ un bout de rideau blanc et allumait une petite bougie que je posais juste à côté . Enfin , je glissais le crâne par-dessus la bougie laquelle s ’ introduisait parfaitement par le trou occipital : hélas , l ’ os se mit rapidement à brûler , une fumée âcre s ’ échappa de la suture coronale qui doit encore en porter la marque . Il existe cinq clichés en noir et blanc de cette séance de vanités datée au dos « juin 1984 ». Ce sont les premières photos que j ’ ai développées moi-même , sur papier Ilford brillant . J ’ en ai conservé les négatifs . En droit français , il n ’ y a pas , sauf erreur , prescription ou limite temporelle à des actes de violations de sépultures avérés : après la dernière guerre , des ouvriers avaient-ils découvert les ossements humains d ’ une ancienne tombe , ou pire , d ’ un charnier , dans la cour de La Salpêtrière , les laissant à la merci des curieux ? Ma grand-mère faisait-elle partie de ceuxlà ? Retrouver ce crâne me permettrait d ’ en savoir beaucoup plus sur ses caractéristiques ante mortem . Les clichés et les souvenirs , d ’ une piètre utilité , ne remplacent pas l ’ examen sur pièce . Maintenant que j ’ y pense , d ’ autres détails me reviennent : la dentition supérieure était dans un sale état . On le voit sur l ’ une des photos . Plusieurs incisives et canines manquaient , ne laissant que le trou de la racine . Certaines molaires avaient été recollées avec de la glue . Des espaces vides existaient entre deux molaires du fond , témoin d ’ une dent arrachée ou qui n ’ aurait pas poussée , aucune trace de plombage ou de soin , juste que l ’ émail de l ’ une des incisives me semblait fort abîmé . J ’ ai récemment parlé de ce crâne à ma fille et je lui ai montré les photos-témoins . « Tu es sûr de ne pas l ’ avoir tout simplement jeté , de t ’ en être débarrassé avant de t ’ installer avec maman ? ». Si c ’ est le cas , je ne m ’ en souviens pas . Et comment peut-on jeter comme si de rien n ’ était un crâne humain aux ordures ?
Deuxième temps
D ’ une chambre , l ’ autre
Légende : Edgard Tytgat ( 1879-1957 ) L ’ attraction de kermesse - La fille dans le cercueil de verre 1932
[ Le contenu de la cage , comme le monde du spectacle , n ' est-il pas celui qu ' Edgard Tytgat a toujours contemplé de sa fenêtre , dans les faubourgs de Bruxelles , où la foire , la fête donnaient naissance aux rires , à la couleur , comme à une certaine forme de poésie et de tendresse cruelle ?]
Ce texte autobiographique vous aura , je l ’ espère , permis d ’ imaginer la possibilité du « cabinet de curiosité », possibilité , j ’ y insiste , offerte à chacun . C ’ est l ’ antichambre du musée imaginaire , un lieu verrouillé et bien à soi , un sas indispensable à la construction du moi , de la personnalité , de la singularité . J ’ y aspire , je m ’ y retire , j ’ y transpire . N ’ est-ce pas Blaise Pascal qui le loue aux derniers jours de sa courte vie , au moment même où les forces de son corps l ’ abandonnent , je le cite : « Quand je m ’ y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s ’ exposent , dans la cour , dans la guerre , d ’ où naissent tant de querelles , de passions , d ’ entreprises hardies et souvent mauvaises , etc ., j ’ ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d ’ une seule chose , qui est de ne savoir plus demeurer en repos dans une chambre ». ( Pensées , # 139 )
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